lundi 31 mars 2014

Hercule contre les vampires (Mario Bava et Franco Prosperi, 1961)



L'usurpateur Lico (Christopher Lee), souverain d'Ecalia, a envoûté Déjanire, la fiancée d'Hercule (Reg Park). Pour la guérir, il doit se rendre aux Enfers avec l'aide de son ami Thesus et de Télémaque afin d'y trouver la pierre de vie. Mais avant, Hercule doit s'emparer de la pomme d'or cachée sur un immense arbre du jardin des Héspérides.

Point de vampire à l'horizon dans ce péplum dont les distributeurs, probablement ceux qui quelques années plus tard renommeraient Django ou Trinita des westerns sans rapport avec les héros sus-cités, louchaient sans doute avec opportunisme du coté de la Hammer ou Christopher Lee avait pu s'illustrer dans le rôle du comte Dracula. Bien que son personnage ne soit ici qu'un sorcier assez banal, il s'agit du péplum poussant le plus loin les influences fantastiques qui venaient ici et là se greffer aux films de Cottafavi ou Francisci, dont Bava fut le directeur de la photographie. Durant une heure vingt, Hercule contre les vampires est un festival de délires chromatiques, de couleurs saturées et d'effets de style (les apparitions furtives de Lico, les mains tentant de sortir des tombes) pour le moins incongrus dans l'univers du péplum. Pour un budget réduit qui ne fut que sa deuxième réalisation officielle après Le Masque du démon - il aurait toutefois collaboré entre autres aux Vampires de Freda et à la Bataille de Marathon de Tourneur - le brio visuel est d'autant plus impressionnant et sur ce plan, il s'agit du film le plus abouti de la série Hercule. Hélas, on n'en dira autant ni du scénario ni de l'interprétation.



Là ou Cottafavi avait su brillamment combler les lacunes de Reg Park en faisant de son personnage un héros attentiste et pratiquement pacifiste, ici Hercule traverse le film avec un regard donnant l'impression de ne pas trop savoir ou il est. Les scènes qui auraient nécessité une véritable dramaturgie en pâtissent énormément (la perte de son compagnon préféré semble le laisser indifférent) et Bava n'arrange rien en l'affublant d'un sidekick comique réussissant à taper sur nos nerfs encore plus fortement que l'Ulysse des deux premiers opus. Christopher Lee est évidemment meilleur mais il est loin de ses performances Hammeriennes ou de celle qu'il donnera pour Le corps et le fouet du même réalisateur. Les péripéties s’enchaînent sans grande logique narrative si ce n'est de permettre à Bava de multiplier les filtres colorés et les menaces improbables, dont un homme de pierre absolument grotesque, des fantômes plus réussis et un beau moment ou Hercule manque de peu de se faire broyer dans une sorte de montagne. Il est en revanche dommage qu'Hercule résolve la quasi-totalité des problèmes à coups de pierre en pleine face et on aurait apprécié un peu plus de variété dans ses techniques de combat.



Hormis l'excellent Hercule à la conquête de l'Atlantide, les scénarios des Hercule précédents n'étaient jamais des merveilles de psychologie mais ils parvenaient à équilibrer l'univers mythologique et la fantaisie. En plongeant tête la première dans un univers aux accents baroques, Bava perd de vue ses personnages qui en deviennent des pantins monolithiques auxquels on peine énormément à s'attacher. Il semble d'ailleurs beaucoup moins inspiré lors des scènes " naturelles " mais leur nombre très réduit rend ce problème accessoire.
Au fond, le principal défaut de cet opus est d'avoir été réalisé par un cinéaste qui donnera un bon nombre d’œuvres plus convaincantes à l'esthétique similaire ; pour rester dans le domaine coloré et grand-guignolesque, le giallo Six femmes pour l'assassin est plus cohérent esthétiquement et bien plus travaillé dans son intrigue. Il reste toutefois le chant du cygne d'une série dont les réductions de budget, le succès décroissant et les interprétations défaillantes allaient rapidement aboutir à une chute qualitative conséquente. Quant à Bava, il s'imposerait facilement comme l'un des plus talentueux cinéastes italiens des années 60, prouvant ici que même un de ses films les plus mineurs peut toutefois éclipser la majeure partie de la concurrence.

vendredi 28 mars 2014

Red Planet Mars (Harry Horner, 1952)



Chris Cronyn (Peter Graves), un scientifique américain, est parvenu à inventer un système de communications avec mars. Il ignore toutefois que Franz Calder (Herbert Berghof), un ancien nazi désormais aux ordres des communistes, intercepte les communications et les modifie. Calder, par l'intermédiaire de Cronyn, tente ainsi de mettre fin au système capitaliste.

La profession de foi de ce blog consistait dans le fait de parler avec sérieux de tous les genres, y compris ceux souvent jugés avec condescendance par certains cinéphiles comme le péplum italien. En dépit de cette volonté, il m'est rigoureusement impossible d'en faire autant face à un film de propagande aussi délirant que ce Red Planet Mars. Pourtant, il n'y avait a priori pas de quoi craindre une telle catastrophe : l'un des scénaristes, John Balderston, écrivit la quasi-totalité des films fantastiques de la Universal dans les années 30 (Dracula, Frankenstein, La Momie, La Fiancée de Frankenstein... ) tandis que l'autre, Anthony Veiller, fut à l'origine du magnifique Les Tueurs de Robert Siodmak. Le réalisateur Harry Horner, dont ce fut le premier film, s'applique avec un irréprochable sérieux tandis que le casting, porté par le futur héros de la série Mission Impossible, fait preuve d'une motivation impressionnante.



Certes, le cinéma de propagande, d'Eisenstein à Fritz Lang en passant par Samuel Fuller, a pu donner des œuvres marquantes. Mais même un sommet de simplisme idéologique comme Le Cuirassé Potemkine n'arrive pas à la cheville de ce Red Planet Mars qui nous présente sans doute le seul exemple cinématographique de méchant communisto-luciferiano-satanisto-nazi ! Lorsqu'un absurde rebondissement scénaristique met au pouvoir un régime politique aux mains de l'Eglise orthodoxe en Russie, on est effaré par l'absence absolue de recul chez les personnages qui se réjouissent de ce retour de la foi avec une véritable hystérie religieuse. Il en va de même lorsque l'horripilante femme de Peter Graves commence à se sentir investie d'une mission divine ou lorsque le scénario insiste sur l'alcoolisme du nazi ou des russes, opposés évidemment à nos chastes et prudes chrétiens américains pleins de bonté.

Red Planet Mars possède un grand mérite : il n'est jamais ennuyeux. Les rebondissements se succèdent et passée une mise en place hasardeuse on enchaîne les idées absurdes avec une évidente bonne volonté. Les communistes provoquent une crise agricole mondiale à la suite de quoi notre héros voit rouge (mais un peu moins qu'eux), le système de communication avec Mars fonctionne grâce à une transmission des décimales de pi (idée dont l'incongruité est renforcée par le speech final du méchant " vous en avez mis du temps à penser aux décimales de pi ! ") et finalement Dieu lui-même intervient pour féliciter l'action efficace de nos héros contre le terrifiant péril communiste. Le tout étant évidemment présenté avec un premier degré fascinant pétri de bonne conscience.



Face à des bolcheviques fourbes et grimaçants (t'as le look, coco ?) la parfaite famille américaine ou même le brushing de Peter Graves se transmet de père en fils amène un futur radieux, la fin nous promettant " the beginning " au lieu du traditionnel the end. Rarement film de propagande n'a été aussi direct et aussi frontal dans sa démarche, et le spectateur contemporain sera sans doute incapable de prendre au sérieux un pamphlet à coté duquel les alliances entre l'américain viril et les sympathiques talibans de Rambo 3 font figure de vision politique nuancée. Paradoxalement, c'est de cette limpidité du discours que le film tire une partie de son charme : là ou bien d'autres avancent masqués, ici la paranoïa anti-rouge est à son sommet. Au-delà du fait qu'il prouve que le cinéma, c'était mieux avant - la preuve : rien n'y était plus ridicule que le futur -, Red Planet Mars, trop convenablement interprété et réalisé pour constituer un véritable nanar, est une curiosité détonante à voir entre amis en savourant un pack de bières.... bières rouges, bien sur.

Django le bâtard (Sergio Garrone, 1969)



Django (Anthony Steffen), ancien soldat confédéré, a été laissé pour mort lorsque trois officiers ont trahi leurs hommes et laissé ceux-ci se faire massacrer par les nordistes. Seize ans plus tard, Django entreprend sa vengeance. Ses adversaires se demandent si Django est bel et bien un être vivant.

Le plus célèbre western de Sergio Garrone s'inscrit dans un sous-genre intéressant, celui du western fantastique, au sens donné par Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique : un point d'incertitude entre le domaine du réel et celui du merveilleux. Ainsi, la question de l'humanité de Django sera laissée sans réponse et si celui-ci semble doté de pouvoir surnaturels (notamment la téléportation) tout cela peut très bien être du à la fatigue ou à des hallucinations de ses proies.

Le cinéaste ayant le mieux synthétisé l'esthétique du western et celle du fantastique italien est certainement Antonio Margheriti, d'ailleurs essentiellement connu des cinéphiles pour ses œuvres gothiques (La Danse macabre, La Vierge de Nuremberg). Son diptyque spaghetti, composé du raté Avec Django là mort est là et du bien meilleur Et le vent apporta la violence contenait également des héros vengeurs aux capacités quasi-surhumaines. Mais là ou Margheriti jouait sur les décors et le son (incroyable scène de Et le vent apporta la violence ou un pianiste abattu à bout portant continue à jouer) pour créer une ambiance fantasmagorique, Garrone se contente de multiplier les démonstrations de force de son héros. D'où un film très répétitif car passé le relatif effet de surprise du premier temps, l'ensemble se révèle être ni plus ni moins qu'une grande partie de cache-cache trop étirée dont Django ne peut que sortir vainqueur.



Si les scripts de westerns transalpins ont rarement brillé par leur originalité, celui-ci aligne les poncifs avec une régularité de métronome. Un méchant attardé blond sadique qui renvoie aux fils de bonne famille dégénérés de chez Fulci, un héros en poncho singeant Clint Eastwood et qui achète des tombes avant d'abattre ses ennemis comme celui-ci dans Pour une poignée de dollars... Pourtant, en dépit de son manque criant de progression narrative, le film se suit avec un certain intérêt et Garrone remplit son cahiers des charges de gunfights, de moments de cruauté et d'apparitions furtives de Django.

Anthony Steffen est un acteur assez médiocre mais le scénario évite de le faire trop parler (défaut gâchant en grande partie Avec Django, la mort est là) et sans atteindre le charisme d'un Klaus Kinski ou d'un Franco Nero qui restent imbattables dans ce type de rôle, il reste bien plus convaincant que Richard Harrison. Il se fait toutefois voler la vedette par un Luciano Rossi totalement déchaîné en psychopathe déficient mental qui curieusement parait être le seul à pouvoir inquiéter Django. L'espace d'une scène dans laquelle Rossi tente de pendre Django, Garrone trouve également une rigueur du cadre et une efficacité du montage qui tendent à prouver que le cinéaste est capable d'accomplir de belles choses à l'occasion. Pour le reste, on navigue entre une horde de sbires tout juste bons à se faire surprendre toutes les cinq minutes, un personnages féminin dénué du moindre intérêt et un trio d'officiers trop faiblement caractérisés. La musique est un plagiat morriconien sans grande imagination mais on peut apprécier le fait que contrairement à d'autres réalisateurs, Garrone a le mérite de ne pas en abuser. Django le bâtard n'est pas la plus passionnante des fausses suites de Django mais il demeure une tentative intéressante quoique inaboutie de fusion de deux genres. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, on vous recommandera avec vigueur le superbe Et le vent apporta la violence qui est peut-être le western italien le plus sous-estimé.



Notons que cette veine fantasmagorique semble, sans doute encore plus que les westerns de Leone, avoir inspirée Clint Eastwood pour son L'homme des hautes plaines dont le héros fantomatique avait beaucoup à voir avec les vengeurs italiens. A l'instar du Une raison pour vivre, une raison pour mourir de Tonino Valerii, le film de Garrone est également connu sous le titre La Horde des salopards qui est ici complètement dénué de sens.

mercredi 26 mars 2014

Je suis un fugitif (Alberto Cavalcanti, 1947)



Clem Morgan (Trevor Howard), ancien pilote lors de la deuxième guerre mondiale, est désormais trafiquant de cigarettes au sein de la bande dirigée par Narcy (Griffith Jones). Les désaccords fréquents entre les deux hommes et les vues de Narcy sur la compagne de Morgan le poussent à faire condamner celui-ci pour un meurtre de policier en réalité commis par lui-même. Morgan parvient à s'évader de prison et, avec l'aide d'une jeune femme répudiée par Narcy (Sally Gray), entreprend de se venger.

Ce véritable film noir anglais se situe dans une période charnière de la fascinante carrière de Cavalcanti : réalisé immédiatement après Nicolas Nickleby qui marqua la fin de sa collaboration avec les studios Ealing, il fait partie des derniers films anglais du cinéaste qui allait bientôt repartir dans son Brésil natal dont il serait l'un des plus importants metteurs en scène. On peut penser à certains moments au merveilleux film de Mervyn LeRoy, Je suis un évadé qui traitait également d'un prisonnier en fuite mais Je suis un fugitif abandonne les tentatives de réinsertion vouées à l'échec pour se concentrer sur le rapport conflictuel unissant l'anti-héros Morgan et le détestable Narcy, quelque part entre les films d'Hitchcock traitant d'un innocent persécuté et certaines œuvres de Fritz Lang dans les années 30. Toutes ces comparaisons sont peu flatteuses pour Cavalcanti qui peine à atteindre leur niveau ; loin d’être honteux, il peine à laisser une empreinte durable sur l'esprit du spectateur et nous livre une oeuvre techniquement aboutie, exempte de scories rédhibitoires mais ne trouvant jamais la grâce des grands films.



Pourtant, il y a de belles choses dans Je suis un fugitif. Après un démarrage un peu lent, l'évasion du héros donne lieu à deux excellentes confrontations, l'une avec une femme peu effrayée qui le prend pour un assassin et lui demande de tuer son mari, l'autre avec un chauffeur de camion trop suspicieux. C'est dans ces moments un peu en marge de la trame principale que le caractère social du film s'exprime le mieux : dès lors que le héros est condamné pour un crime, il devient d'office coupable des suivants ce qui accentue sa perte de repères. Si le combat contre les sbires de Narcy manque de la nervosité d'un Siodmak ou d'un Walsh, la poursuite sur les toits est également un beau moment de cinéma en dépit d'une conclusion bâclée. Signalons aussi la très belle photo d'Otto Heller, l'intéressant jeu sur les décors (avec des gangsters en planque dans des cercueils !) et le regard sur le système répressif anglais qui n'est pas sans évoquer le Il pleut toujours le dimanche de Robert Hamer qui possède d'ailleurs un plan quasiment identique (celui sur le dos de l'ancien forçat zébré de coups de fouet).
Du coté des éléments plus frustrants : Cavalcanti semble ne pas oser représenter frontalement la violence et plusieurs scènes passent à coté de leur dénouement logique ; passent encore les ellipses lors des meurtres ou de l'évasion du héros, mais on peine à croire que le personnage de la femme amoureuse d'un des complices craque devant Narcy avant même que celui-ci ne la frappe. La relation entre Sally Gray et Trevor Howard est loin de celle unissant les couples " de fait " Hitchcockiens ou les cavaleurs Langiens, et durant la dernière partie du film leur jeu cède à quelques élans mélodramatiques convenus ; Griffith Jones en mufle violent parvient en revanche à donner corps à un personnage totalement détestable. Enfin, la conclusion pessimiste semble artificiellement calquée sur un récit qui ne converge pas vers elle et vient nous rappeler que les fins nihilistes ne sont pas forcément plus appropriées que les happy end forcés.



Je suis un fugitif est un bon film auquel il manque l'ampleur, la dimension tragique ou la nervosité de ses meilleurs concurrents américains. Moins marquant qu'un Went the day well ? ou que le sketch du ventriloque d'Au coeur de la nuit, il est toutefois révélateur du métier d'un cinéaste fréquemment balayé d'un revers de la main par les encyclopédistes, en témoigne par exemple la notice assez dédaigneuse lui étant consacrée dans le dictionnaire de Jean Tulard.

lundi 24 mars 2014

L.A. Takedown (Michael Mann, 1989)



Lors d'un braquage, trois policiers sont tués par les hommes de Patrick McLaren (Alex McArthur). Un flic expérimenté, Vincent Hanna (Scott Plank) est chargé de l’enquête. Le gangster et le policier finissent par éprouver une forme de respect mutuel tout en ayant conscience du fait qu'ils risquent de devoir s'affronter un jour. 

Certes, il ne s'agit que d'un téléfilm et il semblerait logique que le spectateur revoit ses désirs à la baisse ; mais Comme un homme libre était également fait pour la télévision et Mann s'y montrait déjà un remarquable metteur en scène. On pourrait aussi être indulgent devant ce qui n'était qu'un brouillon de Heat, futur chef d'oeuvre Mannien envers lequel la comparaison ne peut que faire du mal à L.A. Takedown. Mais quand bien même on oublierait ses prédécesseurs ou successeurs au sein de la filmographie du cinéaste, il apparaîtrait toujours comme un ratage. La Forteresse Noire était un ratage original, audacieux et risqué ; L.A. Takedown est simplement un ratage ennuyeux. Il est un de ces rares cas dans l'histoire du cinéma ou non seulement le remake était permis, mais où on peut aller jusqu'à considérer qu'il s'imposait tant à partir d'un point de départ identique l'écart qualitatif avec Heat est considérable.



D'abord, le film est visuellement très loin de la beauté des Mann photographiés par Dante Spinotti ; et si des effets 80's (ralentis malvenus, emplois de musique pas toujours judicieux) étaient occasionnels dans Le Solitaire ou Le Sixième sens, ils sont ici beaucoup plus systématiques. Mais l'énorme problème demeure l'interprétation ; autant, sans rivaliser une seconde avec Robert De Niro, Alex McArthur reste potable en gangster, autant Scott Plank est tout simplement nul. Les seconds rôles, tenus par des acteurs souvent limités, pâtissent également de la durée du film - une heure de moins que Heat - qui enlève énormément d'épaisseur à leurs personnages et seul Xander Berkeley (qu'on retrouvera dans Heat mais pour un tout autre personnage) en Waingro tire son épingle du jeu.
Pour illustrer ce problème de caractérisation des personnages, il suffit d'étudier la relation entre le gangster et son associé Chris Shiherlis. Dans Heat, les deux vivent une situation amoureuse parallèle, l'un divorçant tandis que l'autre entame une relation. Robert De Niro sert également de tampon entre son associé et la femme de celui-ci et son statut de " grand frère " explique en partie les risques qu'il prend pour sauver Chris ; cela conduit d'ailleurs à l'une des plus belles séquences jamais filmées par Mann (la confrontation entre Val Kilmer et son ex-femme à la fenêtre).
Dans L.A. Takedown, tout ce background autour de Chris est supprimé. Aussi les efforts déployés par McLaren sont loin de produire le même impact émotionnel puisqu'il n'est qu'un gangster comme un autre, interchangeable et peu caractérisé, et qu'on n'éprouve pas vraiment de compassion ni même d’intérêt pour son sort.




Le plus frustrant est peut-être que pour un film qui s'annonce comme un affrontement psychologique entre un flic et un gangster, cet affrontement n'a pas réellement lieu puisqu'en réalité la situation est " résolue " par l'action d'un autre personnage, évacuant toute confrontation directe entre les deux personnages principaux ! Si on repère ici et là quelques idées intéressantes souvent réutilisées plus tard, pas forcément dans Heat d'ailleurs - par exemple, la scène ou Michael Ceritto est abattu ressemble moins à la scène homologue avec Tom Sizemore qu'à la celle de la poursuite de Pretty Boy Floyd dans Public Enemies - mais en l'état, on tient l'unique oeuvre de Michel Mann à peu près dénuée d’intérêt artistique tout en étant là encore fondamentale historiquement comme film matriciel. Il est toutefois passionnant de voir comment un cinéaste semble parfaitement conscient du ratage constitué dans la mesure ou tout ce qui ici parait bancal, brouillon ou inabouti sera revu et corrigé six ans plus tard pour donner l'un des meilleurs polars de la décennie. Reste que si vous devez vous passer d'un Michael Mann, passez-vous de celui-ci.

Brutal tales of chivalry 5 (Masahiro Makino, 1969)


Hanada (Ken Takakura) et Kazama (Ryo Ikebe) se battent en duel après le meurtre de l'oyabun du second par le premier. Hanada remporte le duel en tranchant le bras de son adversaire et passe cinq ans en prison. A sa sortie, il trouve son clan disloqué tandis que Kazama, abandonné par le sien, est devenu un ivrogne. Les deux hommes semblent néanmoins dénués de rancune l'un envers l'autre.

Etant donné que les Brutal tales of chivalry possèdent tous sensiblement la même trame narrative, il est nécessaire d'apprécier les petites différentes entre épisodes afin d'en discerner l'évolution. Deux ans ont passé depuis Brutal tales of chivalry 4 et petit à petit s'opère dans le cinéma japonais une révolution cinématographique avec l'apparition du jitsuroku-eiga, films de yakuzas " réalistes " détachés du code d'honneur traditionnel qui trouvera son point culminant dans les années 70. Il est certainement de plus en plus difficile pour les producteurs de présenter des yakuzas chevaleresques dont Ken Takakura fut la plus célèbre incarnation et cet opus vient subtilement prendre acte de la tendance puisqu'aux sempiternels Takakura et Ikebe dans leurs rôles habituels (ils possèdent les mêmes noms que dans Brutal tales of chivalry 4, mais il ne s'agit pas des mêmes personnages, les films étant comme toujours indépendants les uns des autres) s'ajoute cette fois un yakuza solitaire louant ses services au plus offrant, sorte de version moderne des rônins cyniques des années 20. Signe particulier, il utilise une arme à feu, jusqu'ici l'apanage des méchants ; cette façon de doter un personnage du bon coté d'une arme ne respectant pas les codes traditionnels montre bien la conscience des producteurs de la nécessité de faire entrer les yakuzas dans une ère ou de Baby Cart à Lady Snowblood en passant par la femme scorpion de la série Sasori, les héros se révéleraient de plus en plus sombres et ambigus.



C'est aussi le premier cas ou les trois acteurs principaux (Takakura, Ikebe et Junko Fuji) font l'objet d'un vrai triangle amoureux : Ikebe et Fuji sont mariés mais la déchéance de son époux dans l'alcool pousse Fuji à se réfugier dans les bras de Takakura, sans que ni elle ni lui ne sache qu'il est celui qui a estropié Ikebe. Il fait ainsi partie des films de la saga au moteur dramatique le plus efficace puisque le cœur du film réside dans la manière dont deux personnages chargés d'un passif on ne peut plus lourd arriveront à se battre l'un à coté de l'autre ; pour le reste, on retrouve les éléments traditionnels : une bagarre entre clans pour la possession d'une carrière comme dans Brutal tales of chivalry 2, un jeune couple qui fera les frais de la colère des mauvais yakuzas et évidemment le meurtre du bon oyabun par le clan ennemi, avec pour originalité le fait que l'oyabun en question soit joué par rien de moins que Takashi Shimura, le charismatique Kambei des 7 samouraïs de Kurosawa ! Son humanité et son charisme font merveille, et dans la mesure ou les membres du trio récurrent demeurent fidèles à eux-mêmes, on peut dire que cet épisode contient le plus beau casting des cinq premiers volets de la saga.



Le combat final est là encore plus court que ceux des films de Saeki mais bien plus réussi que celui du quatrième volet. Il est un peu dommage que le handicap de Ryo Ikebe ne soit pas plus exploité - rappelons qu'en 1969, les wu xia pian avec Jimmy Wang Yu en sabreur manchot cartonnent en Chine - mais la vitalité de la mise en scène d'un cinéaste pourtant âgé de plus de soixante ans emporte largement le morceau. Loin des meilleurs opus des sagas Zatoichi ou Baby Cart, ce cinquième volet est de ceux qu'on a pu voir le plus réussi avec le troisième et fait regretter de ne pas disposer à l'heure ou j'écris des 4 derniers (d'autant plus qu'on y retrouve Saeki et Makino à la mise en scène). Toutefois, on quitte cette saga avec un agréable sentiment, celui d'avoir vu faute d’œuvres totalement achevées de bons moments de cinéma populaire nippon aussi désuets qu'agréables.

Titre original : Shôwa zankyô-den: Karajishi jingi

jeudi 20 mars 2014

Baby Face Nelson (Don Siegel, 1957)



Lester (Mickey Rooney) sort de prison lorsque le caid Rocco lui propose un contrat. Lester refuse et Rocco le fait accuser du meurtre. Lester s'évade avec la complicité de sa maîtresse Sue (Carolyn Jones), abat Rocco et rencontre le célèbre John Dillinger avec lequel il s'allie sous le nom de Baby Face Nelson.

Si bon nombre de films ont été consacrés à Dillinger, la vie de son violent comparse fut plus rarement évoquée. L'image flamboyante et pleine de panache du " Robin des bois " des années 30 permettait une empathie bien plus évidente qu'avec Nelson, véritable boucher qui n'eut d'égal que Clyde Barrow comme meurtrier de policiers.
Il est intéressant de voir que contrairement au film noir ou au western, le film de gangsters n'a jamais été totalement à la mode ni totalement démodé ; certes, on pense souvent au début des années 30 ou trois films matriciels débarqueront coup sur coup sur les écrans (Le Petit César, Scarface et l'Ennemi Public) mais le classique le plus mémorable reste certainement l'incroyable L'Enfer est à lui de Raoul Walsh, pourtant sorti pratiquement vingt ans après et représentant un point de non-retour dans la démesure du personnage principal.



Siegel attaque son sujet avec une certaine modestie artisanale ; nerveux et court (85 minutes), son Baby Face Nelson ne s’embarrasse d'aucun temps mort et va droit au but. Contrairement à Jacques Lourcelles, pour lequel la folie destructrice de Nelson n'est jamais justifiée, il me semble qu'au contraire les premières scènes avec Rocco ont cet intérêt : en nous montrant Nelson sans arrêt rabaissé par le caïd, Siegel nous place de son coté lorsqu'il est accusé à tort. Même lorsque Nelson abat Rocco, on parvient encore à comprendre son geste avant que petit à petit, le crescendo dans les atrocités commises nous pousse à nous sentir coupables d'avoir pardonné les agissements d'un tueur. Là ou les personnages incarnées par James Cagney par exemple désiraient avant tout sortir de la misère et devenir riches, le Nelson de Siegel semble beaucoup moins mu par l'appât du gain que par un complexe d'infériorité lié à sa taille, il n'épargnera d'ailleurs dans sa course qu'un banquier aussi petit que lui.

Une autre caractéristique discrète et originale du film réside dans son traitement des seconds rôles : chez Walsh ou Wellman, on trouvait un prêtre, un ami et/ou un frère du personnage principal pour garantir la bonne morale et montrer l'exemple. Siegel franchit un pas en ne présentant aucun personnage positif, les agents du FBI à la poursuite de Nelson étant même plutôt fantomatiques. Si un contrepoint est apporté, c'est plutôt par la figure de Dillinger, certes bandit mais refusant de tuer sans y être obligé, que par le biais de personnes bien intégrées à la société. Une logique similaire sous-tend le personnage féminin : dans les années 30 ou 40, la compagne du héros était une victime, une femme dépassée par les événements qui souhaitait fuir. Ici Carolyn Jones fait jeu égal avec Mickey Ronney dans un véritable élan de complicité et on peut voir ce couple comme les parents accouchant une décennie plus tard du Bonnie and Clyde d'Arthur Penn - même si des films noirs comme Le Démon des armes avaient également ouvert la voie -.



Mickey Rooney est une trouvaille de casting géniale dans le rôle titre et Carolyn Jones s'en tire également très bien. La galerie de seconds couteaux (Ted de Corsia, Jack Elam, Elisha Cook Jr) contient une bonne moitié des gueules de truands les plus emblématiques du film noir. Toutefois, il manque sans doute au film cette incandescence, ces grands moments de cinéma qui faisaient le prix des meilleurs Siegel. Même en restant dans sa période de séries B, une oeuvre comme The Line-Up sortie seulement un an après Baby Face Nelson contient d'incroyables scènes (le meurtre du domestique, l'explosion de rage d'Eli Wallach passant un handicapé par dessus la rambarde) dont ce Baby Face Nelson ne peut pas vraiment s’enorgueillir. A vouloir faire un film épousant la trajectoire directe et sans répit de son anti-héros, Siegel perd l'alternance entre temps morts et explosions qui a pu donner les grands chefs d'oeuvre du genre ; à noter que le plan filmé depuis le haut des escaliers lorsque Nelson abat Rocco est exactement le même que celui voyant l'agent Purvis abattre Jack Klutas dans un film de John Milius nommé.... Dillinger, tiens tiens.

Egalement connu sous le titre l'Ennemi public, auquel j'ai préféré le titre original pour éviter la confusion avec le film homonyme de William Wellman.

Note a posteriori : la lecture du livre Les Irréductibles de John Toland, faute d'enrichir énormément la psychologie de Nelson, nous apprend toutefois que la scène du meurtre par noyade du docteur joué par Sir Cedrick Hardwicke n'est pas une invention de Don Siegel mais l'assassinat authentique du docteur Moran par Fred Barker. Elle montre comment les metteurs en scène de l'époque pouvaient synthétiser la mythologie des gangsters avec cohérence et intelligence dans la mesure ou, attribuée à Nelson, elle semble cadrer parfaitement avec son caractère colérique.

mercredi 19 mars 2014

I Am Waiting (Koreyoshi Kurahara, 1957)



Shimaki (Yujiro Ishihara), un ancien boxeur désabusé, rencontre une jeune femme suicidaire, Saeko (Mie Kitahara). Ils sympathisent mais Saeko, chanteuse, est sous contrat avec une bande de yakuzas qui refusent de la laisser partir. De son coté, Shimaki rêve de retrouver son frère parti au Brésil.

Ce polar intrigue rapidement du fait de son éloignement de l'univers habituel des studios Nikkatsu. Si certains critiques l'ont rapproché de la Nouvelle Vague, on est en réalité plus proche de ce qu'on appelle encore aujourd'hui " le réalisme poétique " et d'un film comme Quai des brumes de Marcel Carné dont on retrouve le sentiment de fatalité, de poids du passé mais aussi les déambulations au bord de l'eau ; l'influence française est d'ailleurs manifeste puisque l'opéra renvoyant Saeko à son passé de chanteuse n'est autre que Carmen. Mais Kurahara n'a pas son Jacques Prévert et son univers de série B est dénué de la puissance et de la majesté de nos classiques hexagonaux. Les dialogues ne créent pas de mystère mais au contraire explicitent trop les caractères des personnages et rapidement on finit par tout savoir de nos héros, là ou il eut été sans doute préférables de laisser une partie de leur passif dans l'ombre.



Il y a deux films dans I Am Waiting, un film de gangsters et un film d'auteur. La première partie, celle de la rencontre entre Shimaki et Saeko, est à la fois la plus originale et la plus touchante. A partir de l'entrée en scène des malfrats, on retombe dans des schémas beaucoup plus conventionnels typiques des productions Nikkatsu. On devine tout de suite que l'intrigue secondaire - le héros est à la recherche de son frère qui a disparu sans lui donner de nouvelles - aboutira forcément à un conflit meurtrier entre lui et les mafieux qui détiennent la femme qu'il a rencontré. On peine aussi à croire qu'Ishihara, avec son physique de jeune premier au gabarit frêle, fut le redoutable boxeur qu'on nous présente. C'est d'autant plus dommage qu'aidés par des personnages plus intéressants et mieux définis que ceux qu'ils incarnaient dans Rusty Knife, le duo vedette est impeccable lors des scènes de romance et parviennent à émouvoir avec un boy meets girl qu'on a pourtant déjà vu cent fois. De plus, parmi les metteurs en scène ayant réalisé des polars pour le studio, Kurahara est peut-être (excepté Seijun Suzuki dont même les films noirs sont tellement saturés d'outrances psychédéliques qu'ils sortent de ce cadre) le plus rigoureux formellement. La bagarre à coup de poing de fin est un excellent moment de cinéma et globalement, le montage ne souffre d'aucune faille. Quelques idées visuelles font également plaisir aux yeux : les jeux de lumière donnant l'impression que les murs bougent lors du premier flashback " meurtrier ", l'arrivée d'Ishihara dans le bar ou Mie Kitahara semble diviser le cadre entre les deux camps. Pareillement, la présence de quelques moment muets passe bien.



Ainsi, I Am Waiting est juste légèrement meilleur que Rusty Knife et voit sa partie romance pâtir de la faiblesse de son envahissante intrigue policière. Le maniérisme de la mise en scène ne suffit pas à le faire décoller et curieusement, un film comme A Colt is my passport, pourtant beaucoup moins rigoureux formellement, laisse une trace plus forte après visionnage. En revanche, il témoigne comme Rusty Knife de l'influence occidentale sur le polar nippon (I Am Waiting est parfaitement suivable pour une personne n'ayant jamais vu le moindre film japonais), ce qui peut faire sourire lorsqu'on repense aux sempiternelles querelles opposant Kurosawa l'occidentalisé à Mizoguchi le cinéaste si purement national, querelles réactualisés inévitablement au fil des générations - John Woo contre Tsui Hark par exemple - et dont la stérilité doit beaucoup à l'image fantasmée que peuvent avoir une poignée de critiques du cinéma japonais. On dira peut-etre un jour ici quelques mots des muets d'Ozu dans lesquels celui-ci n'hésitait pas à télescoper des extraits de films d'Ernst Lubitsch, mais en attendant ce polar de Kurahara aura eu, faute d’être pleinement convaincant, la mérite de tenter de sortir du carcan Nikkatsu. Toujours ça de pris.

lundi 17 mars 2014

Universal soldier : le jour du jugement (John Hyams, 2012)


John (Scott Adkins) sort du coma lorsqu'on lui annonce que sa famille a été tuée par Luc Devereaux (Jean-Claude Van Damme), qui dirige avec son comparse Andrew Scott (Dolph Lundgren) une horde de super-soldats. L'un d'eux, Mangus (Andrei Arlovski) est envoyé tuer John.

Critique dédiée à Mouna.

A priori, quoi de plus opposé à l'idéal de ce blog qu'un quatrième film d'une des pires sagas cinématographiques de ces dernières années ? En réalité, cet opus doit sa place ici au fait que contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, il ne s'agit pas du tout d'un ratage industriel comme les studios hollywoodiens en ont aligné depuis le retour à la mode des stars du cinéma bourrin, mais d'un vrai ratage d'auteur. Tous ceux qui attendraient une continuité sérieuse envers les Universal soldier (mais, très honnêtement, y a t-il encore des gens en 2014 pour vouloir ça ? ) en seront pour leurs frais et les " fondamentaux " mis en place par le film exécrable de Roland Emmerich sont évacués sans un commencement de prétexte, ce qui tombe plutôt bien vu qu'on s'en fiche.

Il est difficile de comprendre ce qui a pu motiver un tel pétage de plombs collectif tant, qu'il s'agisse du réalisateur ou des acteurs, tout le monde semble sous l'effet de substances illicites à commencer par un Jean-Claude Van Damme qui passe tout le film ailleurs - je n'ai pas trouvé de meilleur qualificatif pour décrire sa prestation -. Là ou les retours de vieilles gloires 80's jouaient généralement sur une nostalgie stérile et sur la dimension iconique de leurs acteurs (Le Dernier Rempart, Du plomb dans la tête et les deux insupportables Expendables ) ici les citations abondent sans l'ombre d'un second degré. Catalogue : une poursuite camion/moto renvoyant directement aux Terminator, des éclairages rappelant les Pusher 2 et 3, une ouverture en caméra subjective singeant celles de Strange Days et Enter the void et un final qu'il est totalement impossible de ne pas relier à Apocalypse Now.



Pourtant, Hyams se révèle ici un metteur en scène exigeant survolant largement 90 % de ses condisciples œuvrant dans la série B. Le long combat entre Scott Adkins et une ribambelle de sbires en plan-séquence est certes là encore un décalque (coucou A toute épreuve) mais exécuté avec une réelle virtuosité, comme le sont d'ailleurs tous les passages d'action. Ce n'est jamais la mise en scène, brutale, carrée et efficace, qui est en cause mais à peu près tout le reste. Quand Gareth Evans réalise Le Raid, on peut lui pardonner ses défauts - photographie laide, scénario inexistant - car il ne prétend jamais réaliser autre chose qu'un film d'action, le contrat étant parfaitement rempli sur ce point. Hyams, lui, est bien plus ambitieux thématiquement et questionne la mémoire à grands renforts de bad trip épileptiques qui évoquent plus un clippeur sous cocaïne que Philippe K Dick. Tout cela est d'une extrême confusion narrative, le personnage de Lundgren n'a aucun intérêt tandis que plusieurs séquences (l'affrontement entre Arlovski et un autre super-soldat, le massacre terminatorien) brillent par leur inutilité, d'autant plus que les clichés de direct to video (la prostituée que le héros se trimbale, la quête vengeresse, les agents gouvernementaux qui font n'importe quoi) n'aident pas à prendre au sérieux les velléités auteurisantes d'Hyams. Quant au twist final, il est aussi attendu que grotesque.



Au sein d'un casting inégal, Scott Adkins est parfaitement crédible en héros d'action tout en se révélant incapable de réussir la moindre scène dramatique. Van Damme nous gratifie d'une imitation incongrue de Marlon Brando en colonel Kurtz sans qu'on comprenne trop le pourquoi du comment tandis que Lundgren, désespérément empoté, semble regarder le film se dérouler avec amusement. La véritable révélation est toutefois Andrei Arlovski en machine à tuer massive et effrayante dont on regrette la disparition trop hâtive du récit.
Universal soldier : le jour du jugement est une tentative louable de série B ne parvenant jamais à faire oublier ses faiblesses narratives et son casting médiocre. Pourtant, il révèle en John Hyams un metteur en scène au potentiel certain dont on suivra la carrière avec intérêt.

dimanche 16 mars 2014

Des Jours éblouissants (Jiang Wen, 1994)


Ma Xiaojun (Xia Yu), adulte, se remémore son adolescence lors de la révolution culturelle chinoise. Membre d'une bande de cinq jeunes garçons espiègles, il tombe amoureux de la jeune Mi Lan (Ning Jing) après avoir vu une photo d'elle dans un appartement. Il parvient à se lier d'amitié avec elle mais petit à petit, les souvenirs de Ma se font de plus en plus imprécis.

Premier film de l'acteur Jiang Wen avant que son second, Les Démons à ma porte, ne lui fasse accéder à une reconnaissance internationale, Des Jours éblouissants est curieusement en avance sur son temps : sorti en pleine apogée de la cinquième génération de cinéastes chinois (Vivre de Zhang Yimou date de la même année, Adieu ma concubine de Chen Kaige les précède d'un an) il est d'un naturalisme léger qui a beaucoup plus à voir avec les cinéastes indépendants des années 2000 qu'avec l'académisme de ses contemporains. Parfois vu comme un remake chinois d'Il était une fois en Amérique, il a surtout en commun avec le chef d'oeuvre leonien son caractère méditatif sur le temps et l'oubli. A plusieurs reprises, le narrateur nous prévient que les situations n'ont pas réellement eu lieu ou sont déformées par des souvenirs biaisés ; ainsi le caractère exagéré voir cartoonesque de certaines scènes de justifie totalement puisqu'elles sont racontés du point de vue de l'adolescent facilement impressionnable qui les a vécu, et ce dès l'introduction ou un simple sac lancé en l'air met une bonne dizaine de secondes à retomber.



Jiang Wen parvient à trouver un équilibre difficile, alliant témoignage politique et réelle dimension romanesque. On vit l'endoctrinement idéologique des personnages principaux par le biais d'un cinéma faisant l'apologie du léninisme, mais présenté avec suffisamment de recul pour éviter au film de sombrer dans le pensum démonstratif ; on est néanmoins loin de la compromission et l'histoire du grand-père du narrateur, contraint au suicide pour pensées contre-révolutionnaires, montre en filigrane un régime traité sans complaisance. Pour le reste, on est sans doute plus proche du Péril Jeune que de Leone et on suit avec plaisir nos cinq adolescents faire les 400 coups, se lancer des défis ridicules, fumer en cachette et bien évidemment courir les filles. La passion du narrateur - entrer en cachette dans les maisons des gens - anticipe d'ailleurs celle du héros du Locataires de Kim Ki-Duk (on notera aussi une très curieuse fascination pour les mollets féminins).

Comme dans le superbe livre Ripley Bogle de Robert McLiam Wilson, on en vient progressivement à douter de la véracité des souvenirs de Ma Xiaojun : a t-il vraiment rencontré Mi Lan avant les autres ? Le triangle amoureux avec son ami plus âgé n'a t-il pas été simplement un fantasme de sa part ? Pourquoi la jeune Yu Beipei, dont l'attirance pour Ma semble évidente, disparaît-elle du récit dès lors que Mi Lan apparaît ? Le caractère de Ma, volontiers rêveur et indiscipliné, laisse penser qu'il a totalement façonné ses souvenirs a posteriori et la voix-off concluant le film, nous apprenant l'avenir plutôt sombre des personnages, semble indiquer que l'imaginaire a pu servir de bouée de sauvetage face à la réalité de la guerre. Au final, on ressort donc avec un sentiment paradoxal de film joyeux et insouciant qui possède pourtant un profond arrière-gout de tristesse.



Des jours éblouissants est un premier film qui comme d'autres subit parfois un certain trop plein ; trop de ruptures de ton, trop d'utilisation de la musique qui devient parfois envahissante, trop de voix-off, mais tout ceci ne ternit pas le sentiment d'excellente surprise au visionnage de ces Jours éblouissants par ailleurs portés par des jeunes acteurs exceptionnels dont le naturel crève l'écran et par une photographie impeccable. Sa vitalité et son inventivité en font un film aussi plaisant que singulier au sein d'une époque oû les représentants festivaliers du cinéma chinois ignoraient alors toute fantaisie.

Egalement connu sous le titre Sous la chaleur du soleil.

vendredi 14 mars 2014

Hercule à la conquete de l'Atlantide (Vittorio Cottafavi, 1961)



Une prophétie annonce à Androclès (Ettore Manni), roi de Thèbes, un péril venu d'outre-Atlantique. Celui-ci part avec son ami Hercule (Reg Park) à la rencontre de la menace. Un naufrage sépare Hercule d'Androclès et lui fait découvrir une civilisation aussi avancée qu'impitoyable.

Le brio de ce véritable ovni transalpin n'est pas forcément évident ; certes, dès le plan-séquence d'introduction mettant à l'amende la quasi-totalité des metteurs en scène de péplum italien, le spectateur peut se rendre compte du talent de cinéaste de Cottafavi. Mais en réalité, sa beauté ne vient pas uniquement de sa rigueur formelle, mais aussi du fait que les choix narratifs les plus risqués, les plus délirants se révèlent pratiquement tous en bout de ligne pertinents et inventifs.

Prenons le curieux choix de Reg Park en Hercule : moins charismatique que Steve Reeves, moins brillant que Mark Forest, le culturiste (encore plus massif que ses prédécesseurs) donne à son personnage une bonhomie et une décontraction le rendant profondément sympathique. Ainsi, l'inaction du personnage, qui passe pratiquement toute la première demi-heure à dormir, manger et boire, n'est pas une carence mais une manière de définir un personnage de bon vivant évitant la bagarre autant que possible (durant l'introduction il est d'ailleurs tranquillement occupé à se rassasier alors que tout l'auberge se bat dans un capharnaüm digne du Philippe de Broca de l'Homme de Rio). Ce pacifisme d'un héros pourtant réputé pour ses exploits guerriers donne à son entrée en action un véritable souffle lyrique car elle se fait contre sa volonté.




Autre idée a priori saugrenue : délocaliser l'action en Atlantide. En réalité, l’île permet à Cottafavi d'exprimer une métaphore politique de plus en plus explicite : délires raciaux en vue de créer une civilisation supérieure (les prototypes sont d'ailleurs tous blonds), uniforme des atlantes rappelant les chemises brunes, images de charniers évoquant avec force les archives de camps d’extermination.... Rappelons au passage que les atlantes furent une partie intégrante du folklore nazi et servirent fréquemment de héros dans les bandes dessinées collaborationnistes. Cottafavi n'hésite d'ailleurs pas à moquer la démocratie grecque (personne ne veut se mesurer aux atlantes par peur que leurs voisins n'en profitent pour les envahir) et la scène de discussion au conseil est révélatrice d'un dernier choix audacieux : l'humour.

Si certains précédents films de la série Hercule avaient pu utiliser des éléments comiques, ici Cottafavi fait preuve d'un détachement qui pourrait presque être qualifié de parodique si le cinéaste n'assombrissait pas le ton au fut et à mesure du film, de façon relativement subtile au point qu'il est difficile d'en saisir le point de basculement. Le massacre des révoltés - traité en ellipse comme dans le Kagemusha d'Akira Kurosawa - ou la révélation des expériences atlantes font d'autant plus froid dans le dos qu'on ne pouvait que difficilement pressentir d'une telle bifurcation vers le drame.



Cottafavi n'aimait pas le péplum et n'y fut confiné qu'à cause des échecs de ses expériences néo-réalistes. Néanmoins, il trouve le parfait équilibre entre le grand spectacle et ses ambitions auteurisantes, entre les conventions et sa patte personnelle. Il est brillamment secondé par des acteurs tous impeccables (Fay Spain en reine démoniaque tire particulièrement son épingle du jeu, mais Ettore Manni et Luciano Marin en comparses d'Hercule sont irréprochables) et par une photographie de Carlo Carlini sous influence Mario Bava. Deux petits bémols toutefois : l'affrontement entre Hercule et Protée, si il donne lieu à l'une des plus belles fulgurances visuelles du film (l’île qui saigne) est en partie ridiculisée par le monstre en latex grotesque dans lequel Protée se déguise ; et la destruction de l'Atlantide qui donne lieu à une utilisation de stock-shots d'Haroun Tazieff produisant un effet de distanciation assez pénible. Pour le reste, cet Hercule à la conquête de l'Atlantide est l'un des rares grands films au sein du péplum transalpin et mérite les louanges dont il fut l'objet.

mercredi 12 mars 2014

La Résidence (Narciso Ibáñez Serrador, 1969)




Teresa (Cristina Galbo) rejoint l'orphelinat pour jeunes filles dirigé d'une main de fer par Mme Fourneau (Lilli Palmer), directrice autoritaire qui couve son jeune fils Luis en lui interdisant de parler avec les pensionnaires. Petit à petit, des jeunes filles disparaissent tandis que Teresa est maltraitée par la surveillante Irene (Mary Maude).

Pour de nombreux cinéphiles, le cinéma fantastique espagnol serait l'un des derniers bastions d'un cinéma de genre résistant encore et toujours aux diktats hollywoodiens, souvent opposé artificiellement aux laborieux essais hexagonaux. En réalité, les tentatives ibériques ne se sont que rarement révélées concluantes et une fois épuisées les filmographies de Guillermo Del Toro et d'Alejandro Amenabar pré-Mar Adentro, les motifs d'enthousiasme disparaissent comme neige au soleil, ce qui est d'autant plus le cas lorsque l'on constate que la quasi-totalité des caractéristiques récurrentes du film d'orphelinat espagnol se trouvaient déjà dans cette Résidence sans que sa postérité ne soit parvenu à le dépasser (une exception toutefois : l’Échine du diable).

Serrador, cinéaste ayant œuvré essentiellement pour la télévision, n'aura réalisé que deux films : Les Révoltés de l'an 2000, dans lequel les enfants se décidaient à exterminer les adultes, et cette Résidence ; deux films novateurs aux thématiques fortes dont l'influence se fait encore ressentir aujourd'hui et qui valurent à leur réalisateur un statut de patriarche dans son pays. A priori, tout pour faire de cette Résidence un classique incontournable ; a priori...



Commençons par évacuer une polémique assez stérile : l'influence du film sur le Suspiria de Dario Argento. Si les similitudes concernant le cadre sont très nettes, La Résidence est un film de jeunes filles en proie à des émotions de femmes (désir sexuel, besoin d'émancipation, sadisme) là ou Suspiria voyait son héroïne déambuler dans une sorte de maison de poupée géante telle une version moderne d'Alice au pays des merveilles. D'un coté une esthétique gothique à la Terence Fisher, de l'autre un univers aux couleurs saturées et à l'architecture flamboyante ; aux meurtres furtifs et pratiquement relégués hors-champ du Serrador, Argento répondra par une démesure baroque n'ayant rien à envier aux maîtres Hitchcock et De Palma.

La Résidence est un film à la mise en scène plus rigoureuse que celle des Révoltés de l'an 2000 et brasse toute une gamme de thématiques liées au conservatisme franquisme : lesbiannisme de la surveillante (qui anticipe les futurs matonnes des women in prison), inceste sous-jacent entre la directrice et son fils voyeur, personnages masculins pervers ou métaphoriquement castrés... Le problème réside surtout dans un montage étonnamment hasardeux qui enchaîne les séquences sans souci de cohérence. Par exemple, lors de la scène des douches, le jeune voyeur appelle l’héroïne, qui hésite à lui répondre ; tout de suite après, la surveillante la réprimande pour ses rendez-vous réguliers avec le voyeur, et ce alors que l'on n'a jamais vu les deux personnages ensemble dans le cadre ! De même, la relation pourtant intéressante entre la directrice et la plus rebelle des pensionnaires - qui, une fois n'est pas coutume, n'est pas notre trop sage héroïne - est abandonnée en cours de route comme si Serrador ne savait pas comment conclure les multiples intrigues mises en place (le dénouement de la trame principal est d'ailleurs d'un grotesque achevé). Une confrontation aussi réussie que celle entre Teresa et Irene en devient gâchée par le fait qu'elle soit gratuite car dénuée d'utilité dans le récit.



Si le montage freine malheureusement l'efficacité narrative, c'est dans les instants de pure mise en scène ou Serrador est le plus à l'aise. Ainsi de ce superbe moment de cinéma durant lequel une pensionnaire couche avec un homme dans une grange, la mise en scène de Serrador et le travail sur le son nous faisant comprendre que toutes les jeunes filles sont au courant ; c'est la frustration sexuelle de tout un orphelinat qui s'exprime lors de ces quelques secondes portées par un découpage proprement impeccable. On peut ainsi voir la Résidence comme un film fondateur et doté de fulgurances indéniables, mais trop relâché narrativement pour convaincre entièrement. Serrador corrigera ce défaut pour Les Révoltés de l'an 2000, également imparfait mais ayant le mérite d'assumer plus efficacement son idée initiale.

Note : dans la mesure ou le DVD René Château est non seulement d'une qualité ignoble mais se paye en plus le luxe d'inventer une " restauration " qui n'a de toute évidence jamais eu lieu, je vous conseille amicalement de dépenser votre argent chez des éditeurs un peu plus scrupuleux.

mardi 11 mars 2014

Une Raison pour vivre, une raison pour mourir (Tonino Valerii, 1972)


Le colonel Pembroke (James Coburn), ancien membre de l'armée dégradé, se porte volontaire pour prendre le fort du major Ward (Telly Savalas) à l'aide d'un petit commando de repris de justice parmi lesquels se trouve le débrouillard Eli Sampson (Bud Spencer).

Si Sergio Leone a toujours peiné à assumer son statut de patriarche du western italien, sa colère épargnait néanmoins son ancien assistant Tonino Valerii jusqu'à lui permettre de réaliser un Mon nom est personne en forme de réponse aux " westerns fayots ", déclinaisons du genre au comique laborieux portés notamment par le duo emblématique Terence Hill/Bud Spencer. Si Mon nom est personne a le mérite de boucler la boucle avec intelligence et d'offrir de beaux rôles à Terence Hill à Henry Fonda, il peut sembler très exagéré d'en faire un incontournable du western spaghetti tout en vociférant contre les œuvres souvent supérieures artistiquement de Corbucci ou Sollima ; et si dans ce film Valerii faisait preuve d'un minimum de talent, on peine à le retrouver dans ce Une raison pour vivre, une raison pour mourir laborieux et longuet, que Jean-François Giré qualifie avec raison de ratage dans son incontournable ouvrage sur le western transalpin.


En réalité, il s'agit autant d'un western que d'un film de commando et l'influence principale est plutôt à chercher du côté des Douze salopards de Robert Aldrich envers lequel la comparaison est difficile pour Valerii. En effet, l'intérêt de ce type de cinéma est souvent conditionné à la création de personnages charismatiques (Enfants de salauds d'André De Toth, Les Douze salopards encore) ou d'un minimum de rebondissements venant relancer l'action (le très bon Quand les aigles attaquent de Brian G Hutton). Privé de tout cela, le film de Valerii enchaîne les morts platement filmées et les fusillades sans implication dramatique avec une routine désespérante pour une cinématographie brillant habituellement par ses outrances. Seuls trois membres du commando sont un minimum caractérisés : Coburn, Spencer et le sergent forcé par Coburn à rejoindre l'équipe dont on devine tout de suite qu'il sera l’empêcheur de tourner en rond. Tous les autres sont parfaitement interchangeables, ce qui est d'autant plus gênant que même Coburn, Spencer et Savalas campent des personnages extrêmement peu intéressants et dont les motivations se résument en une ligne. Les deux premiers semblent tenter de reconstituer le duo Steiger-Coburn d'Il était une fois la révolution sorti l'année précédente mais là ou chez Leone leur rivalité se teinte de résonances politiques et sociales, chez Valerii on peine à voir autre chose que deux membres d'un commando un peu moins idiots que les autres.



Toutes les tentatives de faire bifurquer le film dans une direction imprévue ou originale ratent avec une régularité de métronome. Lorsque le commando prend quelques fermiers en otage, on anticipe un dilemme (vont-ils laisser partir les innocents ou risquer d’être dénoncés ?) jusqu'à ce qu'un deus ex machina vienne finalement empêcher tout malaise, à l'inverse de la très dérangeante séquence chez Aldrich ou Jim Brown était contraint d'envoyer des grenades sur un groupe de civils agglutinés ; l'inévitable moment de rébellion du commando avorte tout aussi rapidement. De même, l'homosexualité de Telly Savalas évoquée en filigrane (notamment par une très curieuse manie de brûler des allumettes sur le sexe d'une statue grecque !) tombe à plat. Le statisme d'une mise en scène alignant les plans fixes fait le reste, d'autant plus que le passage autour de l'infiltration de Bud Spencer dans le fort est d'une longueur à venir à bout du plus patient des spectateurs. Enfin, une photographie laide et délavée s'en vient former le dernier maillon d'une suite de problèmes reléguant le film de Valerii au rang de curiosité réservée aux fans les plus acharnés du western transalpin ou aux inconditionnels de James Coburn.

Egalement connu sous le titre La horde des salopards, à ne pas confondre avec le film du même nom sorti en 1969 avec Anthony Steffen réalisé par Sergio Garrone.

lundi 10 mars 2014

Le Venin de la peur (Lucio Fulci, 1971)

Carol Hammond (Florinda Bolkan), une jeune bourgeoise, consulte un psychanalyste ; elle enchaîne en effet de curieux rêves érotiques mettant en scène sa voisine dépravée Julia (Anita Strindberg). Les rêves s'intensifient jusqu'à ce que Carole rêve de l'assassinat de Julia, assassinat qui s'avère avoir eu lieu dans la réalité.

Ce " giallo-machination ", récit placé du point de vue d'une femme que des événements poussent au bord de la folie et de la paranoïa, présente moins de parenté avec les classiques signés Bava et Argento qu'avec un autre réalisateur de gialli de seconde zone : Sergio Martino, dont l'inaugural L’étrange vice de madame Wardh sortit d'ailleurs à peine un mois avant le film de Fulci. Celui-ci partage approximativement les qualités (érotisme soft, intrigue peu crédible mais bien tenue, univers bourgeois décadent dont on ressent parfaitement l'étouffement) et les défauts (psychologie datée, acteurs limités) des films de Martino mais dépasse même les meilleurs de ceux-ci - en plus de L’étrange vice.... citons le très bon La queue du scorpion - par son ambition esthétique et ses qualités formelles.  

Lucio Fulci aura été dans le cinéma de genre italien l'un des très rares cinéastes avec Bava à donner un classique au sein d'au moins quatre ou cinq genres différents abordés, l'un des plus talentueux mais aussi des plus polyvalents réalisateurs. Mais même en dehors de ses films d'horreur (L'Au-Delà, l'Enfer des zombies) le cinéma de Fulci reste sans arrêt marqué par la putréfaction corporelle et le gore. Que ce soit au sein du polar (La guerre des gangs), du western (Les quatre de l'apocalypse) ou du giallo (L'Emmurée vivante et donc ce Venin de la peur) les styles abordés sont systématiquement contaminés par une approche faisant la part belle aux grandes scènes sanglantes.



Là ou son approche est un peu plus fine que ce qu'on pourrait imaginer, c'est qu'au lieu d'utiliser le prétexte du giallo pour multiplier les scènes d'assassinat, Fulci concocte une intrigue plutôt minimaliste ou seulement deux meurtres ont lieu en tout et pour tout, et comble du comble, sont relégués hors-champ ! En réalité, les moments narratifs sont parmi les plus faibles du film et Fulci semble bien plus intéressé par la représentation du paysage mental de l'héroïne ou se succèdent les visions orgiaques et les violences dépravées la renvoyant à son statut de bourgeoise frustrée et paranoïaque. La scène d'introduction dans laquelle Florinda Bolkan court au milieu d'un train, entourée de gens nus, est un des moments les plus mémorables de la filmographie du maître, tout comme l'attaque des chauve-souris - certes en deçà de la tétanisante scène des araignées dans l'Au-Delà - ou les saisissantes tortures animalières (qui valut aux films des ennuis avec la censure, le maquilleur ayant du prouver au tribunal qu'il s'agissait de trucages). L'atmosphère d'angoisse est d'autant mieux rendue que ni les bourgeois menteurs ni les hippies défoncés présentés au fur et à mesure n'inspirent un tant soit peu confiance, personne ne semblant trouver grâce aux yeux du cinéaste. Toute la grammaire cinématographique mise en place (split-screen, zooms tarabiscotés, angles de vue désagréables) n'est pas gratuite mais au service d'un projet cinématographique poussant le spectateur à accompagner Florinda Bolkan au fur et à mesure de sa perte de repères.



Parmi les autres qualités formelles du film, on notera une belle photographie de Luigi Kuveiller (Les frissons de l'angoisse, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon) et une très belle bande-originale à la limite de l'expérimental signée par Morricone et Bruno Nicolai, qui semblent parfois broder sur les moments les plus dissonants de leur travail conjoint sur Colorado.

Sans atteindre les sommets d'Argento ou de Bava, Le Venin de la peur est un giallo faisant partie des plus beaux outsiders aux côtés de l'excellent Mais... qu'avez vous fait à Solange ? de Dallamano. Existe aussi sous un autre titre assez croquignolet : Les salopes vont en enfer.

samedi 8 mars 2014

Le Sixième sens (Michael Mann, 1986)



Will Graham (William Petersen), un agent du FBI vivant reclus, est contacté par son supérieur Jack Crawford : un tueur en série s'en prend à des familles sans histoire et le prodigieux don d'empathie que possède Will, et qui lui a permis de mettre Hannibal Lecktor (Brian Cox) sous les verrous pourrait être décisif. Cependant, Will craint de basculer dans la folie.

Troisième film de Mann et formidable retour en forme après le demi-ratage La Forteresse Noire. Le Sixième sens est le plus beau Mann des années 80 dans lequel s'affinent ses futures orientations esthétiques - le film marque la rencontre entre Mann et son futur chef opérateur fétiche Dante Spinotti -, un des meilleurs polars de l'époque et la plus réussie des adaptations de Thomas Harris, la sobriété de Brian Cox en Lecktor/Lecter étant autrement plus convaincante que le cabotinage d'Hopkins dans Le Silence des agneaux.

Comme dans Le Solitaire, on retrouve la famille comme bouée de sauvetage empêchant le personnage principal de céder à ses pulsions, avec ici le risque d'une déconnexion de la réalité (extraordinaire séquence dans l'avion, ou Will Graham s'endort en pensant à sa femme, laissant des photos de meurtre bien en vue et à portée d'enfants) avec comme miroir le serial killer rêvant exactement de la même chose. Contrairement à Lecter, encore personnage de second plan, " La Dent Vicelarde " est capable d'empathie et éprouve d'ailleurs un amour sincère pour une jeune aveugle, amour violent et possessif mais réel. De même, au fur et à mesure de sa traque, Graham se coupe petit à petit de son humanité et l'utilisation du journaliste racoleur comme appât montre bien le policier capable de méthodes douteuses pour arriver à ses fins ; le suspens distillé lors des moments d'embuscade est d'ailleurs exemplaire.




Le Sixième sens fait partie de ces films dont l'originalité est diffuse, tapie derrière des archétypes souvent réutilisés mais rarement avec autant de pertinence. Par exemple, lorsque le fils de Graham lui demande des explications sur son rapport aux serial killers, celui-ci lui répond avec une honnêteté totale et l'enfant d'une dizaine d'années est pour une fois traité en adulte capable de comprendre la dure réalité du monde. La confrontation Lecter-Graham est formidable de non-dits et de subtilité, les deux agissants tels des joueurs d'échecs tentants de briser la défense adverse ; il faut d'ailleurs louer la mise en scène de Mann (on y trouve un de ses rares emplois de la caméra subjective), la rigueur de ses cadrages et sa maîtrise parfaite du rythme qui éclatent ici encore plus que dans ses films précédents. Il prouve également son talent pour les moments de creux, de pauses dans le récit (le long plan sur Graham se regardant dans le miroir à la cafétéria, la surprenante séquence ou la Dent Vicelarde séduit l'aveugle en la mettant en contact avec.... un tigre ! ) qui devraient rappeler à certains réalisteurs qu'il ne suffit pas de pétarder de manière ininterrompue pour être un grand cinéaste d'action. De même, l'absence totale de complaisance envers les crimes (on ne voit pas les meurtres, les dialogues et la vue des scènes de crime suffisent pour que le spectateur ressente l'horreur) peut surprendre tant le spectateur contemporain est habitué à ce qu'on lui jette tout en pleine figure là ou ici Mann fait confiance à son intelligence.


William Petersen nous fait regretter qu'après avoir rayonné dans deux des plus beaux polars 80's (celui-ci et le Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin) sa carrière cinématographique n'ait pas eu l'éclat qu'elle méritait. De Dennis Farina à Kim Griest en passant par Stephen Lang, tous les seconds rôles sont impeccables mais on reste particulièrement admiratif devant les deux psychopathes de service joués par Brian Cox et Tom Noonan. On eut été en présence d'un chef d'oeuvre si quelques choix musicaux douteux et un usage du ralenti lors du final, certes un peu mieux amené que celui-du Solitaire mais néanmoins incongru, ne venaient apporter un minuscule bémol à ce qui demeure une date de l'histoire du thriller et un grand film supportant parfaitement le revisionnage.

jeudi 6 mars 2014

Brutal tales of chivalry 4 (Masahiro Makino, 1967)


Après la mort de leur leader, les membres du clan Tsutamasa subissent les manigances de l'ambitieux Akutsu. Hidejiro (Ken Takakura), de retour de son service militaire, prend en charge le clan Tsutamasa et tente d'éviter le conflit avec l'aide de son ami Jukichi (Ryo Ikebe), homme de main d'Akutsu. Hidejiro est également amoureux de Fumiyo (Junko Fuji), la soeur de Jukichi.

Le remplacement de Saeki par Makino a t-il été en mesure de relancer une saga dont les épisodes commençaient à trop se ressembler ? Pas vraiment. Certes, on observe quelques aspects inédits : pour la première fois les personnages joués par Takakura et Ikebe sont des amis d'enfance et non des yakuzas sympathisant au service de leur clan. L'Oyabun de la famille Tsutamasa n'est pas assassiné par les méchants et le scénario signé Norifumi Suzuki se concentre légèrement plus que d'habitude sur les seconds rôles, notamment un romantique yakuza amoureux d'une geisha et son ami attardé mental filmé avec un surprenant respect exempt de cynisme (il sera d'ailleurs le seul admis aux cotés de Takakura et Ikebe lors du règlement de comptes final).  Mais toutes ces variations ne sont que des micro-variations et à prendre le film dans sa globalité, il déroule tous les éléments vus et revus dans les trois premiers opus de Saeki. En plus de Takakura et Ikebe, Junko Fuji devient à son tour une présence régulière dans la saga avec un rôle de femme aimante et douce après un Brutal tales of chivalry 3 ou elle jouait déjà la sœur de Ryo Ikebe.


Faute de se trouver dans des nouveautés narratives trop minimes, la valeur ajoutée aurait pu résider dans la mise en scène du vétéran Makino. Hors action, il s'agit d'un artisanat correct sans génie qui n'est ni meilleur ni moins bon que celui du Saeki débarrassé de ses maladresses du premier volet. Lors du règlement de comptes final en revanche, Makino s'avère plus dynamique et formellement plus énergique que ne l'était Saeki, mais tout ceci est malheureusement gâché par l'aspect beaucoup trop court du combat en question. Dans la mesure ou les ninkyos résident souvent dans le fait de faire monter la pression durant une heure et quart avant de la relâcher lors du quart d'heure final, ici sa brièveté donne pour la première fois l'impression que Ken Takakura n'a pas tout à fait purgé sa rage et nous laisse sur notre faim en dépit de l'évident talent de cinéaste d'action de Makino.

Autre défaut plus subjectif : si les Brutal tales of chivalry abusaient souvent des bons sentiments, ceux-ci avaient le mérite de créer une réelle dramaturgie et de donner à l'histoire une forte tonalité tragique. Ici, en accentuant plutôt l'aspect pittoresque des personnages secondaires et en insistant moins sur les dilemmes psychologiques autour de Takakura et Ikebe, le script se tire une balle dans le pied car si le film est moins mièvre que les autres opus, il est aussi moins émouvant. La relation Takakura-Fuji en pâtit légèrement et on ne retrouve pas de moment de tension comparable à celui du duel entre nos deux valeureux yakuzas lors de l'épisode 3.  


Alors, ratage que ce volet introductif de Makino, par ailleurs grand connaisseur du genre puisqu'il fut à l'origine des Nihon Kyokaku-den, l'une des trois sagas ayant fait de Ken Takakura une vedette au Japon - les autres étant Abashiri Prison et évidemment les Brutal tales of chivalry - ? Non, l'aspect négatif de cette chronique provient surtout du fait qu'un sentiment de routine correcte s'instaure petit à petit, laissant forcément un peu d'ennui s'installer. Tout en racontant sensiblement la même chose, les premiers opus voyaient Saeki prendre progressivement de l'aisance jusqu'à un épisode 3 en forme de synthèse des qualités du réalisateur. Ici, le changement ne permet pas d'explorer de nouveaux terrains narratifs ni d'apporter suffisamment de brio à la mise en scène pour passer outre le sentiment de légère déception, s'expliquant également par les très grandes similarités entre les épisodes. 

mardi 4 mars 2014

Don Angelo est mort (Richard Fleischer, 1973)



Don Paolo décède et son fils Frank (Robert Forster) lui succède, notamment grâce à l'appui de Don Angelo (Anthony Quinn). Frank est efficacement secondé par les frères Fargo, Vince (Al Lettieri) et Tony (Frederic Forrest) qui est le véritable cerveau de la bande. Une lettre anonyme crée un conflit entre Frank et Don Angelo et aboutit à une guerre des gangs ou tout le monde est en réalité manipulé par Orlando, un concurrent qui cherche à obtenir la mainmise sur la mafia.

Certes, le film de Richard Fleischer est sorti un an après le Parrain et l'entreprise fleure bon l'opportunisme capitalisant sur le succès du film de Coppola. Certes, il ne s'agit pas loin s'en faut d'une des grandes réussites du cinéaste qui deux ans plus tard signerait un bien plus mémorable Mandingo, par exemple. Certes, la mise en scène est ici à peine digne d'un téléfilm et on peine à reconnaître le Fleischer ample et inspiré des Vikings. Néanmoins, Don Angelo est mort est une saga mafieuse de série B qui se suit avec un réel plaisir, notamment grâce à sa concision et à son beau casting ; du fait de n'avoir pas à proprement parler de personnage principal - Frank, Tony et Don Angelo ont à peu près autant de présence à l'écran - le film évite d'être trop prévisible et il faut louer sa capacité à éviter de rendre ceux-ci unidimensionnels. Qu'il s'agisse du Don, de Frank ou des frères Fargo, personne n'est tout blanc ni tout noir ce qui rend le conflit plus intéressant puisqu'il se fait sans désigner de méchant ou de gentil.



Un des défauts les plus évidents du film est que la guerre des gangs provoquée l'est selon un motif plutôt idiot : Frank et Angelo partagent la même maîtresse (hum), Orlando le devine (hum hum) et en informe Frank afin que tout ce beau monde s'entre-déchire, ce qui sera évidemment le cas. Sans être un modèle ni d'originalité ni de rigueur, le script est efficace et doté de suffisamment de scènes d'action pour maintenir l'intérêt. Les scènes de couple sont sauvées de la mièvrerie par la formidable prestation d'Anthony Quinn, absolument parfait en parrain sur le déclin tandis que Robert Forster en sous-Sonny Corleone et Frederic Forrest en éminence grise lui donnent impeccablement la réplique. On apprécie aussi quelques seconds rôles marquants de l'époque tels que Sid Haig, éternelle brute des women in prison et blaxploitation de Jack Hill, ou Victor Argo. Les trop rares tentatives d'insuffler un peu de mise en scène - notamment par le biais de plans fixes appuyés lors des séquences les plus dramatiques - fonctionnent et font regretter l'académisme envahissant le reste du film. Faut de posséder la tension ou la majesté des grands classiques du genre, Don Angelo est mort semble conscient de ses limites et s'applique à éviter les temps morts plus qu'à créer des grands moments cinématographiques. Il nous prouve aussi de nouveau que contrairement à certains de ses collègues de la même génération, Richard Fleischer était entré de plein pied dans les années 70, son approche brutale et sèche du film mafieux étant parfaitement synchrone avec l'époque. La présence de Jerry Goldsmith à la bande-originale est également la bienvenue faute de faire partie de ses chefs d'oeuvre musicaux.



Au final, Don Angelo est mort est un divertissement du dimanche soir dénué d'inventivité mais remplissant son cahier des charges et porté par des acteurs irréprochables. On préférera évidemment l'approche jusqu'au-boutiste d'un De Palma, le maniérisme de Scorsese et bien sur l'ampleur de la trilogie mafieuse de Coppola mais à l'instar des incursions de Roger Corman dans le genre, le film de Fleischer est un sympathique outsider. Outre Mandingo et le fameux Soleil Vert, on recommandera également deux oeuvres plus notables du cinéastes durant sa période 70's : L'Etrangleur de Rillington Place, moins connu mais largement aussi bon que L'Etrangleur de Boston, et Les Flics ne dorment pas la nuit. Hétéroclite, inégale et commerciale dans le meilleur sens du terme, l'oeuvre de Richard Fleischer est celle d'un artisan qui n'a pas à rougir de la comparaison avec bien des auteurs plus célébrés.