dimanche 27 juillet 2014

Sexy Beast (Jonathan Glazer, 2000)


Gal Dove (Ray Winstone), ancien gangster, coule des jours heureux en Espagne accompagné de sa femme Deedee et d'un couple d'amis. Tout se gâte lorsque Don Logan (Ben Kingsley) débarque sur l'ordre de Teddy Bass (Ian Mcshane) pour convaincre Gal de participer à un dernier coup. Le refus de Gal conduit à un accroissement de la tension entre Don et lui.

Très étrange polar britannique, complètement à l'antithèse de la veine cool-branchée illustrée par Guy Ritchie (Arnaques, crimes et botanique, Snatch) ou Matthew Vaughn (son Layer Cake souvent défendu par les cinéphiles nous a semblé totalement dénué d'intérêt). N'eut-il été sorti en 2000, alors que cette vague n'en était qu'à ses balbutiements, on aurait même pu y voir un film leur répondant tant ce Sexy Beast est déceptif, refusant de résoudre de façon conventionnelle les enjeux qu'il met en place. Dans son intéressant Seule la mort peut m'arrêter, Mike Hodges surprenait par son scénario qui transformait son héros Clive Owen en figure spectrale accomplissant une vengeance inutile sans la moindre grandeur. Ici, Glazer innove bien plus par son montage que par son scénario ; les scènes de dialogues, et notamment celles entre Ray Winstone et Ben Kinglsey, sont extrêmement découpées. Parfois, ce montage presque hystérique qui nécessite trois ou quatre plans pour une ligne de dialogue trouve son sens lorsqu'il s'agit d'évoquer la perte de repères de Gal ; parfois, c'est simplement pénible, à l'image d'un film quelque peu tiraillé entre ses qualités de direction d'acteurs et ses penchants clipesques ; la présence de rêves dans lesquels apparaît un lapin géant tout droit sorti de Donnie Darko - en réalité sorti un an après le film de Glazer - ne s'imposait surement pas, par exemple, et Glazer est souvent plus à l'aise lorsqu'il s'agit de jouer sur les moments de creux, de vide - et n'hésite d'ailleurs pas à expédier très rapidement la séquence de casse qui ne semble pas l'intéresser du tout -.



Sexy Beast est également assez déconstruit, provoquant des ellipses plutôt surprenantes avant de les combler lorsque l’on ne s'y attend plus. A l'instar de Pulp Fiction, il s'agit d'un film de gangsters racontant des faits très classiques de manière très moderne, sauf qu'au juke-box rock de Tarantino se substitue une ambiance plus étrange, presque polanskienne. Peu de réalisateurs auraient eu l'audace d'étirer une situation archétypale du polar (l'homme du chef qui vient persuader le malfrat retraité de repartir pour un dernier casse) sur près d'une heure, et la qualité des dialogues comme de l'interprétation (Ray Winstone excellent en truand presque apathique, Ben Kingsley formidable en psychopathe) fait que tout cela fonctionne à peu près.... jusqu'à une dernière demi-heure qui semble laisser l'intrigue en plan faute d'arriver à la conclure de manière satisfaisante. On en vient presque à regretter les flashbacks explicatifs (pourtant les moments les plus convaincants de la dite demi-heure) qui empêchent Sexy Beast de maintenir l'inconfort et l'ambivalence apparus avec le personnage de Ben Kingsley.



Pour Birth, Glazer saura s'entourer d'un scénariste talentueux (Jean-Claude Carrière, collaborateur récurrent de Luis Bunuel) qui fait quelque peu défaut à ce Sexy Beast, possédant toutefois le mérite de ne pas dépasser les 85 minutes. Quelques beaux moments de cinéma (la résolution de l'intrigue sur Don Logan " sur le tard ", l'introduction avec le rocher, les face-à-face Kingsley-Winstone) suffisent à justifier le coup d’œil à condition de ne pas être allergique à une mise en scène dont le côté stylisé vire parfois au tape à l’œil.
Sexy Beast est quelque peu ignoré aujourd'hui au sein de la pourtant très courte filmographie de son metteur en scène (trois films). Si sa démarche semble plus trouble et moins cohérente que celles ayant abouti à Birth et à Under the skin, avec lesquels Glazer connaîtrait un fort succès public et critique, il serait injuste de ne pas voir en Sexy Beast une tentative audacieuse bien qu'inaboutie de polar atypique, ou la chaleur espagnole a fait des braqueurs virtuoses d'hier des paresseux empâtés et indolents. Original à défaut d'être enthousiasmant.

lundi 21 juillet 2014

Le Dernier jour de la colère (Tonino Valerii, 1967)



Scott Mary (Giuliano Gemma), un bâtard, est le paria de la ville de Clifton. Systématiquement humilié par ses notables, il est un jour défendu par un pistolero, Talby (Lee Van Cleef) qui abat l'un de ses tourmenteurs. Scott Mary demande alors à Talby de le prendre sous son aile mais rapidement, il apparaît que les objectifs des deux hommes sont différents.

Cas assez singulier que ce western spaghetti dont le classicisme " à l'américaine ", si il n'aurait pas dépareillé à l'époque ou la révolution opérée par Leone n'en était qu'à ses balbutiements, semble pratiquement anachronique en 1967. Même un metteur en scène comme Sergio Sollima, peu amateur de grands zooms et d'excès sanguinolents, semble plus exalté que Valerii qui par conséquent retire un mérite paradoxal : son film est globalement dénué des scories qui rendent les westerns italiens pénibles aux yeux de beaucoup de cinéphiles (pas de mise en scène brouillonne, pas de surjeu, peu de violence gratuite) mais est très loin de provoquer la même euphorie qu'un Django ou un Colorado. Plus que son célèbre Mon nom est personne, Le Dernier jour de la colère est le film qui permet de comprendre pourquoi Leone estimait que Valerii était son seul successeur digne d'intérêt : si Leone parodiait les codes américains, il leur vouait en réalité une très forte admiration qu'on ne retrouvera que rarement chez Corbucci, Fulci ou Castellari. En revanche, la sobriété et l'attention portée à la psychologie des personnages du Dernier jour de la colère contrastent avec la désinvolture avec laquelle le même cinéaste réalisera plus tard Une raison pour vivre, une raison pour mourir.



On pourrait presque considérer que les films mettant en scène Lee Van Cleef sont un genre en soi puisque l'acteur y interprète le plus souvent un rôle de mentor vieillissant confronté à un jeune en plein apprentissage. Dans ce type de rôle, Giuliano Gemma est plus convaincant que le John Phillip Law de La mort était au rendez-vous ou l'Alberto Dentice du Grand Duel. Son jeu sobre, dramatique mais expressif rappelle son personnage du Retour de Ringo, prouvant encore une fois sa capacité à s'illustrer même hors de son registre comique habituel. Les seconds rôles leoniens font également plaisir à voir et on retrouve Benito Stefanelli en tueur à gages ou Al Mulock (l'homme dont le visage ouvre Le bon, la brute et le truand) en ancien complice de Talby. Là ou Mon nom est personne confronterait la tradition américaine - Henry Fonda - aux excès italiens - Terence Hill - avant une réconciliation finale, Le Dernier jour de la colère voit le précepteur américain être abattu par le jeune dont il a trop sous-estimé la débrouillardise. Ce sous-texte est d'ailleurs plus intéressant que l'histoire générale, vue et revue (Gemma passe le début du film à se faire humilier mais les notables en payeront le prix chacun leur tour) et dans laquelle seuls les deux héros semblent bénéficier d'un minimum d'épaisseur.



On trouve quelques idées sympathiques dans Le Dernier jour de la colère : un duel à cheval durant lequel les adversaires doivent recharger un fusil à un coup, la relation entre Gemma et l'ancien shérif qui lui fera prendre conscience de la malhonnêteté de Talby ou encore l'astucieux face-à-face final, mais tout cela fait peu pour un film qui par ailleurs peine à transcender ses quelques éléments originaux ; la fin échoue ainsi à produire la tension requise, tandis que les fusillades ne sont guère dramatisées. En revanche, la musique de Riz Ortolani pallie très bien l'absence de Morricone et le charisme de Lee Van Cleef est un atout non négligeable. Si ce Tonino Valerii là est bien plus réussi qu'Une raison pour vivre, une raison pour mourir, il n'en demeure pas moins que son apport comme metteur en scène est quelque peu insuffisant pour lui permettre de côtoyer les grands du genre, les Leone, Corbucci, Sollima et autres Margheriti.

Un western agréable dont le statut de (petit) classique a certainement plus à voir avec ses acteurs et sa bande-originale qu'avec son réalisateur.

mercredi 9 juillet 2014

THX 1138 (George Lucas, 1971)



Dans un futur orwellien, THX 1138 (Robert Duvall) vit aux côtés de LUH 3417 (Maggie McOmie). Celle-ci décide d'arrêter de prendre les sédatifs imposés par le régime et encourage THX 1138 à faire de même, tandis que le mystérieux SEN 5241 (Donald Pleasance), chef de LUH 3417, semble vouloir intercéder dans les désirs d'évasion grandissants du couple.

Premier et plus obscur film de George Lucas, THX 1138 est fréquemment victime de la forte personnalité de son réalisateur, qui oblige les spectateurs à le juger par rapport à la filmographie de Lucas et particulièrement à Star Wars plutôt que comme l’œuvre forte et autonome qu'il est. On aime souvent d'autant plus THX 1138 qu'il est souvent l'antithèse de la direction plus commerciale et plus divertissante que prendra la carrière du cinéaste ; en réalité, cette division est quelque peu surfaite tant il y a beaucoup plus de points communs que l'on pourrait le penser entre son long-métrage expérimental et ses succès commerciaux. La séquence de poursuite finale est montée exactement comme l'attaque de l'Etoile Noire, le design de la planète et son uniformité évoquent l'Empire galactique (au contraire de l'Alliance Rebelle qui elle se caractérise par une diversité très forte) et le son des véhicules est pratiquement identique à celui des motos des stormtroopers du Retour du Jedi, ou des podracers de La Menace Fantôme, à ceci près qu'au lieu d'évoquer des mondes à échelle galactique, THX 1138 se concentre au contraire sur une société à taille réduite mais ou l’individualité est niée et ou le régime contrôle jusqu'aux pensées de ses habitants.



Thématiquement, si THX 1138 n'est pas sans convoquer un héritage littéraire assez évident (en plus de 1984, il a de fortes affinités avec le fondateur Nous Autres de Zamiatine, tels que l'idée des matricules), il parvient toutefois à se créer une identité propre. La place de la religion y est très originale : une sorte de confessionnal placé sous une image du Christ répète mécaniquement les mêmes mots avant de pousser les plaintifs à consommer plus et à produire d'avantage. Rarement lien aussi pertinent fut fait entre société de consommation, religion d’État et totalitarisme ; le système juridique y est absurde (SEN 5241 est emprisonné sur simple dénonciation, le procès de THX 1138 se fait sans qu'il ne puisse s'exprimer) à l'image de cette police robotique qui derrière des intonations douces cache la brutalité de ses méthodes de répression. Même la monnaie, qui voit son cours varier quotidiennement sans logique (on peut imaginer que l’État contrôle les fluctuations monétaires) ne sert qu'à acheter " le produit " qui ne semble avoir aucun impact réel, comme un point d'orgue d'une société ou l'utilité n'est plus qu'accessoire. La survie de THX est d'ailleurs intimement liée à l'économie puisque le système ne se désintéresse de lui qu'à partir du moment ou sa capture coûte trop cher et n'est donc plus conforme aux objectifs de rentabilité.



Là ou THX 1138 est le plus impressionnant, c'est dans la gestion de son budget. Les 700 000 dollars n'empêchent pas un travail sur le son et sur la couleur remarquables, l'omniprésence du blanc permettant à Lucas de matérialiser une sorte de désert incolore dans lequel THX et SEN se déplacent sans pouvoir en discerner le début ni la fin. Si les - réelles - audaces sont nombreuses, toutes ne sont pas totalement pertinentes. Le vocabulaire des habitants, sorte de charabia mathématique incompréhensible (" Un FT41 dans le secteur MV8, appelez les F90... ") finit par s’avérer lassant, tout comme l'absence de précisions sur des éléments cruciaux de la narration : comment THX et SEN ont pu parvenir à s'évader ? Quel est le rôle des hologrammes dans la société ? Pourquoi THX n'a t-il pas été condamné de même manière que LUH ?
A laisser trop d'enjeux sans réponse, THX 1138 apparaît parfois exagérément glacial, moins cohérent qu'un chef d’œuvre comme Brazil. La director's cut est également parfois gênante du fait de la juxtaposition de plans d'époque et d'effets numériques contemporains, d'autant plus que ceux-ci n'apportent que peu d'éléments importants. Néanmoins, THX 1138 est un superbe premier film qui même détaché de l'aura relative à son insuccès lors de sa sortie reste bien plus convaincant et radical que beaucoup de films de science-fiction contemporains (on ne parlera pas de son minable remake déguisé, le honteux The Island).


Hors-sujet : ceci est la centième chronique publiée sur ce blog. J'avoue l'avoir démarré absolument sans savoir ou j'allais, et quelques mois plus tard je suis assez satisfait de la tournure prise. Quelques constats personnels en vrac :

- Je tiens à m'excuser pour les fautes d'orthographe présentes ici et là dans les articles, je fais tout mon possible pour les faire disparaître mais il y en a toujours trop à mon gout.

- Si les retours que j'ai pu avoir IRL sont très satisfaisants, je suis un petit peu déçu par le nombre très faible de commentaires (gros coucou à Augustin quand même !), surtout par rapport au nombre de visites qui m'a très agréablement surpris (au passage, les westerns spaghettis ont vraiment la cote). J'ignore si mon ton incite peu à la discussion ou si la relative rareté de certains films chroniqués fait qu'au final, peu de gens peuvent réagir dessus, en tout cas je ne peux en l'état qu'inciter les gens à s'exprimer, y compris pour dire que je n'ai rien compris et que je raconte n'importe quoi (plutôt la controverse que le silence !).

- Certains retours allaient dans un sens commun, à savoir la trop courte longueur des textes. Je les comprends très bien mais ne compte pas en dévier, pour plusieurs raisons. L'idée de départ était de faire sensiblement la même longueur sur tous les textes et il me serait difficile d'écrire des textes plus longs sur certains des plus mauvais films critiqués ici. Je trouve aussi que la concision permet à la fois d'éviter de se répéter ou de se regarder écrire, et de ne pas perdre le lecteur. Vous lisez des critiques d'une cinquantaine de lignes sur Les Amours d'Hercule et je vous en remercie, je ne suis pas sur que vous seriez très motivés à en lire une trois fois plus longue sur le même film.

- Les derniers mois ont été marqués par une baisse de ma productivité, d'avantage liée à ma situation professionnelle qu'à un manque de volonté ou à la démotivation. Cette situation risque de se provoquer de nouveau, je tente de conjuguer tout cela mais ce n'est pas toujours simple. Ainsi il n'y aura plus d'articles durant une dizaine de jours pour cause d'absence.

- Globalement, j'ai fait relativement peu de pub (deux sites) et ne compte pas en faire plus. Je déteste faire de la pub.

Pour finir, je tiens à remercier tous ceux qui m'ont encouragé et sans l'appui desquels je n'aurais pas osé franchir le cap, merci à tous ceux qui m'ont conseillé, relu et/ou recommandé (Alex, Mouna, Dr_Z, Jo...) et à tous ceux qui acceptent de perdre dix minutes à lire un chômeur vous parler d'un énième film de yakuzas.

dimanche 6 juillet 2014

Collatéral (Michael Mann, 2004)



Max (Jamie Foxx), un chauffeur de taxi sans histoire de Los Angeles, est payé par Vincent (Tom Cruise) pour l'accompagner. Quand Max comprend que Vincent est en réalité un tueurs à gages, il est contraint par celui-ci de l'aider. Un policier suspicieux, Fanning (Mark Ruffalo) soupçonne quant à lui un contrat portant sur des témoins fédéraux et enquête.

On trouve dans Collatéral quelques micro-facilités scénaristiques : la présence de Jada Pinkett Smith dans le taxi au départ qui permet de " boucler la boucle " un peu trop facilement, celle de Mark Ruffalo dans l'ascenseur que prennent Tom Cruise et Jamie Foxx, ou la manière un peu balisée qu'a Ruffalo de remonter la piste le menant à Cruise. Sans ces quelques raccourcis, Collatéral serait le deuxième chef d'oeuvre absolu de Mann avec Heat ; en l'état, il reste un immense moment de cinéma et son film le plus réussi au sein de la décennie 2000-2010, au point d'avoir sans doute conduit une partie du public à mésestimer ses successeurs en réaction.



Qu'est ce qui fait qu'un script de (bonne) série B accouche ici d'un grand film ? A peu près tout. En premier lieu, le duo de personnages principaux fonctionne pleinement. Tous deux sont par certains aspects des héros classiques de Mann (ils agissent tous deux en " professionnels " qu'il s'agisse du chauffeur de taxi ou du tueur, ils sont d'abord définis par leur rapport à leur profession et dégagent une surprenante humanité) mais ici pas d'interférence de leur vie privée réduite au strict minimum, une mère hospitalisée pour Max et le néant pour Vincent. L'essentiel sur eux est dit en quelques scènes (la rigueur de Vincent évidente dès l'introduction, le sens de l'observation de Max lors de sa discussion avec l'avocate, sa connaissance de la ville lorsqu'on le voit discuter en espagnol avec un garagiste), sans lourdeurs ni pathos. Même un personnage secondaire comme celui de Mark Ruffalo parvient malgré son peu de temps à l'écran à nous intriguer et nous émouvoir, d'autant plus que la construction narrative qui lui permet d'entrer en scène est réellement audacieuse puisqu'elle parvient à nous sortir du taxi de Foxx sans casser le rythme ou la tension ; cette bifurcation s'achève d'ailleurs de manière particulièrement surprenante.



Dans ce qui est peut-être son plus grand rôle avec Eyes Wide Shut, Tom Cruise se révèle le choix parfait et son mélange de sérénité, de froideur et d'existentialisme fait de Vincent l'un des méchants les plus marquants du cinéma contemporain. Un Jamie Foxx en pleine forme (la scène de face-à-face avec Javier Bardem lui permet un très grand moment de jeu) réussit à ne pas se faire éclipser par son partenaire et le casting est dénué de fausse note. La virée dans Los Angeles permet d'exploiter idéalement le cadre urbain, faisant passer l'histoire d'un club de jazz afro-américain à une boite coréenne en passant par un repère à truands latinos ou aux grands quartiers d'affaires ; à ce propos, l'absence du chef opérateur Dante Spinotti n'est pas préjudiciable tant ses remplaçants Cameron et Beebe ont fourni un travail irréprochable. Même les goûts musicaux parfois douteux de Mann semblent ici coller aux scènes qu'ils illustrent, comme cet usage de virtuose de Ready steady go qui achève de faire de la séquence " coréenne " une scène d'action digne de la fusillade de Heat. Et comme tous les grands films du réalisateur, il est aussi touchant lorsqu'il traite de la solitude et de l'indifférence (les personnages qui meurent sans que quiconque ne semble en être dérangé, les passants qui constatant que Jamie Foxx est attaché songent à le braquer plutôt qu'à le libérer) qui permet à Mann d'éviter le piège de l'exercice de style un peu vain. Enfin, rarement un script aussi archétypal et une mise en scène auprès des corps, presque documentaire (renforcée par les détails véristes : Jamie Foxx qui n'arrive pas à utiliser le pistolet, la gamelle de Cruise lorsqu'il part à sa poursuite dans l'immeuble) n'ont fusionné avec autant de grâce et de naturel.

Une merveille, tout simplement.

vendredi 4 juillet 2014

Lady Yakuza 2 : La règle du jeu (Noribumi Suzuki, 1968)




Oryu (Junko Fuji) reçoit l'hospitalité du clan Tokasaki, qui est détruit après une trahison de leurs rivaux Kasamatsu. En effet, le clan Kasamatsu a racheté les reconnaissances de dettes contractées par les ouvriers auprès des usuriers, ce qui leur permet de contrôler la production de soie. Oryu est victime d'une tentative d'assassinat mais est sauvée par Kazama (Koji Tsuruta), un yakuza errant aux objectifs mystérieux.

Deuxième volet de la saga dont le scénariste des premiers épisodes, Noribumi Suzuki - habitué du genre puisqu'il signait également le script de Brutal tales of chivalry 4 - est ici promu metteur en scène. A l'instar d'un Teruo Ishii, Suzuki doit l'essentiel de sa reconnaissance en occident à ses films de torture, mais l'un comme l'autre ont pu se faire la main sur des ninkyos (les Abashiri Prison dans le cas d'Ishii, sur lesquels on reviendra peut-être un jour). Pourtant, l'avenir de Suzuki s'entrevoit rétrospectivement ici et rarement a t-on vu un ninkyo insister autant sur un viol avec une cruauté à la limite de la complaisance ; de même, le très curieux couple constitué par Oren et Yasu, une joueuse rivale d'Oryu et son mari (littéralement) émasculé évoque les futurs excès 70's, ceux des Sasori ou des Baby Cart. Si le premier volet signé Kosaku Yamashita se regardait tout à fait, la platitude de sa mise en scène hors action fait du film de Suzuki un film plus agréable à regarder en comparaison, plus dynamique. Si les fautes de gout n'en sont pas absentes (le fils du ministre occidentalisé est évidemment ridiculisé, l'idéalisation des yakuzas preux et chevaleresques est souvent difficile à avaler), le travail artisanal de Suzuki se révèle tout aussi correct à la mise en scène qu'au scénario.



Car encore une fois, Suzuki développe un nombre assez important d'intrigues. Le clan Kasamatsu engage Oren (contre l'avis de Yasu) pour battre Oryu au jeu ; Kazama cherche à venger ses parents victimes d'usuriers ce qui le rend très hostile à Kasamatsu ; deux yakuzas maladroits cherchent à intégrer le clan d'Oryu et le dernier rescapé du clan Tokasaki est maintenu captif. De quoi meubler efficacement l'heure et demie même si comme pour le premier épisode, l'humour bas du front apporté par le personnage de Tomisaburo Wakayama ne s'imposait pas forcément. En revanche, Koji Tsuruta réussit à remplacer son rival Ken Takakura dans le rôle du preux chevalier avec la même réussite, tandis que dans le rôle de l'adjoint de Kasamatsu on découvre avec plaisir un tout jeune Bunta Sugawara qui prouvait déjà son impressionnant charisme. Le côté omniprésent d'Oryu contraste assez finement avec sa faiblesse réelle et si ses qualités " masculines " de combattante sont souvent utiles, elles ne suffiraient pas sans ses compétences " féminines " de meneuses d'hommes qui inspire la loyauté et le respect. On sera un petit peu plus circonspect devant les leçons de vie de Kazama " la couture vous irait mieux que le couteau " (sic!) d'un paternalisme relativisant encore une fois le discours gentiment féministe de l'ensemble.



Il manque peut-être à ce Lady Yakuza une force dans la composition des plans, dans le cadre pour emporter réellement l'adhésion : la mise en scène appliquée mais quelque peu banale de Suzuki ne parvient pas à transcender l'histoire qui reprend parfois un petit peu trop celle du premier épisode (la libération jouée sur une partie de dés, notamment). De plus, l'inaptitude martiale de Junko Fuji est ici un poil trop flagrante et Suzuki tente de contrebalancer en esthétisant les combats à l'aide de ralentis et d'effets de style qui ne masquent pas réellement la différence de crédibilité entre l'actrice et ses partenaires de jeu. Comme pour beaucoup de ninkyos, la quantité de plaisir pris par le spectateur dépend en grande partie de sa capacité à accepter des codes désuets aujourd'hui et à en savourer le charme d'époque, sa naïveté étant aux antipodes de nos habitudes contemporaines. On espère toutefois que Tai Kato, cinéaste réputé formaliste et metteur en scène du troisième épisode, saura donner à la série l'impulsion nécessaire pour qu'elle puisse décoller réellement.

mercredi 2 juillet 2014

Ossos (Pedro Costa, 1997)



Un jeune père de famille (Nuno Vaz) sauve son bébé dont la mère Tina (Mariya Lipkina) souhaitait se débarrasser. Il erre dans Lisbonne, le nourrisson dans les mains, réclamant de quoi manger aux passants tout en proposant à l'occasion de leur vendre l'enfant. Autour d'eux, la misère, la faim, l'indifférence et la solitude.

Ossos est plus supportable que La Maison de lave pour plusieurs raisons. D'abord, il possède une trame un peu plus ténue : un bébé voué à mourir est protégé par son père, autour duquel gravitent diverses figures féminines. Ensuite, la photographie y est largement plus travaillée et en ce sens, Ossos est le film décisif parmi les œuvres en couleur de Costa, celui qui donnera le ton pour l'avenir. En dépit de leur teinte sombre, certains plans sont de véritables tableaux et le soin apporté au cadre est évident. Toutefois, Ossos reste un mauvais film car tout en étant presque aussi ennuyeux que La Maison de lave (ce qui est déjà une performance), il y ajoute une dimension misérabiliste à laquelle le cinéaste avait réussi à ne pas céder jusqu'ici.

Costa est un cinéaste ascétique, pour le meilleur et pour le pire. Sa mise en scène se compose en grande majorité de gros plans longs, sur des personnages qui ne font rien ou s’attellent à des taches anodines. On peut supporter la durée au cinéma si elle se justifie thématiquement ; les personnages de Gerry traversent un désert et leur errance s'accompagne d'un basculement progressif dans la folie, ceux de Stalker au contraire pénètrent petit à petit dans un monde aux règles diamétralement opposées au notre. Chez Costa, un personnage filmé en train d'ouvrir une porte n’accomplira probablement rien de plus excitant que la dite ouverture de porte. Vous admettrez que ceci peut venir à bout des plus farouches volontés.



Costa a tenu à filmer l'un des quartiers les plus pauvres de Lisbonne et tous ses personnages semblent vampirisés par leur lieu de vie. Rien ne vient atténuer la déprime : le jeune père défoncé que la mère oblige à dormir auprès du bébé, le bruit permanent des habitations voisines, un couple qui fait l'amour avec le bébé caché sous le lit, deux tentatives de le vendre... Quand Costa sort de son système formel et filme Nuno Vaz en plan-séquence, ce n'est absolument par pour lui offrir un échappatoire mais pour en profiter et montrer un décor invariablement terne dans lequel le personnage évolue sans qu'on différencier la rue d'avant de celle d'après. Et si le misérabilisme de Costa est sans doute moins irritant que celui, hystérique, d'un Inarritu, il n'en demeure pas moins que ses personnages sont des enveloppes vides dont l'existence n'offre aucun point d'intérêt. Il y a quelque chose de malhonnête à vouloir faire passer la sobriété pour du recul et là ou certains voient dans la démarche du cinéaste une preuve de dignité et de grandeur d'âme, de nombreux spectateurs devraient au contraire constater le triomphe de la morosité.



A filmer uniformément tout ce qui se passe, Costa échoue à transmettre un point de vue. Quand une scène ou un personnage passe l'aspirateur est filmée exactement comme une tentative de suicide au gaz, tout se vaut et plus rien n'a d'importance. Les plans sont en eux-même assez fascinants et leur composition n'est pas dénuée de force esthétique, mais tout cela enchaîné ne crée jamais une quelconque émotion. Le cinéaste touche au génie lorsqu'il filme des mystères (Le Sang) ou un personnage répétant un exercice en le perfectionnant (Ne Change rien), exercices dans lesquels son ascétisme formel ne tue pas la tension mais la décuple. Qui plus est, sur une thématique proche (l'action a lieu dans le même quartier et se concentre sur des personnages similaires), Costa serait également plus convaincant sur Dans la chambre de Vanda.
Notons que devant la réception critique française particulièrement favorable dont Ossos fit l'objet (il n'y a guère que nos collègues de Shangols pour mentionner sa pénibilité), j'invite les plus curieux à tenter l'expérience. A vos risques et périls.