jeudi 29 janvier 2015

La Femme scorpion (Shunya Itô, 1972)

 
Nami (Meiko Kaji) a été manipulée par son amant, le policier Sugimi, responsable du viol de Nami par des truands. Elle tente de se venger mais est arrêtée et envoyée en prison, dans laquelle Nami devient l'ennemie attitrée du directeur. Sugimi engage une prisonnière, Katagiri (Rie Yokohama) pour éliminer Nami.

Premier des six women in prison racontant la lutte entre la prisonnière Nami (surnommée Scorpion ou Sasori en VO) et les autorités, cette Femme scorpion reste parfois un peu injustement dans l'ombre de son délirant successeur, Elle s'appelait scorpion. Il faut dire que ce volet introductif montre un Shunya Itô qui n'a pas encore totalement trouvé ses marques, offrant un film plus conventionnel sur le plan du scénario que ses deux suites immédiates. Tous les codes du genre répondent présent : les tentatives d'évasion ratées, les matons libidineux et sadiques, les rivalités entre prisonnières et les tortures se succèdent de manière parfois un peu attendue. Il s'agit pourtant d'une charge féministe extrêmement brutale : les institutions (la police, la justice, l'environnement carcéral), représentées par des hommes, sont inhumaines et corrompues et seules les divisions internes entre femmes (bon nombre collaborant pour en tirer quelque privilège) permettent au système d'être maintenu à flots, système dans lequel la prisonnière est assimilée à une sous-prolétaire (le plan sur l'ensemble des femmes exploitées dans les ateliers comme des ouvriers à la chaine) et humiliée en conséquence. La libération de la femme est en marche, et elle se fera à coups de couteau.



Le succès de la formule Sasori, du moins dans ses premiers temps, vient de la fusion de deux talents rares. L'actrice Meiko Kaji est tout aussi déterminée et charismatique que dans les Lady Snowblood et l'idée d'avoir retiré un maximum de dialogues renforce sa froideur vengeresse ; on comprend en quelques secondes qu'elle sera celle qui ne cède jamais, celle contre laquelle tout le système se cassera les dents. Le réalisateur Shunya Itô quant à lui n'est pas tout à fait un réalisateur de films d'exploitation comme Noribumi Suzuki ou Teruo Ishii, mais une sorte d’esthète baroque dans la lignée de Seijun Suzuki. Si sa mise en scène n'est pas aussi folle que dans Elle s'appelait scorpion ou La Tanière de la bête, on peut noter plusieurs très grands moments de cinéma : le viol de Nami et sa théâtralisation (l'arrière-plan qui se transforme en accueillant des dignitaires abjects alors que Nami reste allongée en état de choc au premier plan), l'attaque de la prisonnière rousse dans les douches tout droit sortie d'un film de fantômes saturé d'éclairages bleutés ou la première tentative de meurtre contre Sugimi par une héroïne à moitié nue sont saisissants. Les audaces visuelles permettent également au film d'éviter une certaine complaisance par le biais de la déréalisation (le directeur qui reste immobile alors qu'une prisonnière vient de lui crever un œil), tandis que la musique chantée par Kaji elle-même, Urami-Bushi, est aussi marquante que le thème principal des Lady Snowblood.


Parmi les choses moins convaincantes, on trouve l'aspect caricatural de la totalité des personnages masculins et le surjeu d'une partie d'entre eux (au premier rang desquels un Hideo Murota qui passe tout le film à hurler). Certaines conventions ne fonctionnent qu'à moitié dans l'univers de Itô : l'amitié entre Nami et Yuki affaiblit la première, d'autant plus que le personnage de Yuki ne présente aucun réel intérêt. Mais La Femme scorpion prouve aux détracteurs qu'il est possible de réaliser au sein de ce qui demeure un des sous-genres les plus graveleux de l'histoire du cinéma une œuvre qui soit à la fois ambitieuse thématiquement et esthétiquement. Une simple comparaison avec les " classiques " américains signés Jack Hill ou Gerardo de Leon montre l'écart entre des films globalement très limités et les fleurons du genre nippons. La Femme scorpion est une belle réponse japonaise aux films italiens stylisés de Bava ou Argento, et qui sans être une réussite majeure a très bien passé l'épreuve du temps

mercredi 28 janvier 2015

La mort a pondu un oeuf (Giulio Questi, 1968)

 
Marco (Jean-Louis Trintignant) assassine une prostituée avant de rejoindre l'élevage de poulets qu'il gère en compagnie de sa femme Anna (Gina Lollobrigida). Ils vivent tous deux aux côtés de leur nièce Gabrielle (Ewa Aulin) avec laquelle Marco a une liaison. Celui-ci apparait de plus en plus perturbé psychologiquement par le productivisme acharné auquel il est contraint.

Giulio Questi est un réalisateur rare (trois films seulement) et l'un des personnages les plus singuliers du cinéma italien. Si son inaugural Tire encore si tu peux ! pouvait encore s'apparenter au western en dépit de son aspect expérimental, ici nous ne sommes clairement plus dans le giallo et si certaines critiques le mentionnent comme appartenant au genre, force est de constater que ses codes sont soit absents (la recherche du coupable, l'enquête policière, les séquences de paranoïa) soit totalement détournés de leur sens habituel (les meurtres). Quelque part, le film de Questi serait un lointain cousin du Sweet Sweetback's Baadasssss Song de Melvin Van Peebles, tous deux partageant une charge politique féroce et une mise en scène chaotique proche des travaux de Jean-Luc Godard. En effet, le réalisateur use et abuse d'effets de montage ultra-rapides (le plan sur le cadavre dans l'accident de voiture répété une dizaine de fois) afin de provoquer le dégout du spectateur. Si l'effet fonctionne, sa systématisation est très pénible d'autant plus que tout le film est accompagné d'une musique dissonante de Bruno Maderna qui devient franchement insupportable à la longue.


Ce qui est de loin le plus intéressant ici réside dans la manière dont les rapports de production sont envisagés. Lorsque Marco découvre la mutation de ses poulets, devenus des sortes de boules répugnantes sans tête ni aile, il est le seul à s'alarmer là où tout le monde s'enthousiasme de cette réduction des couts de production. Habituellement, un héros entrepreneur fait face à une menace (pour lui et pour la société) dont l'élimination permet un retour à la norme. Ici, Questi présente l'exact contraire : c'est Marco qui apparait comme étant l'individu indésirable, ses réserves morales étant assimilées à de la puérilité par l'ensemble des protagonistes. Au contraire, Marco est le dernier obstacle à un libéralisme abject qui assimile l'homme à du bétail (les ouvriers renvoyés) et le héros le plus moral sur le plan entrepreneurial est donc la personne que l'on voit assassiner des prostituées au cours du film. D’où une gène, un malaise qui parcourt le spectateur jusqu'à ce que le twist final vienne éclairer le propos. Et si cet aspect se révèle parfois un peu trop théorique, il n'en reste pas moins que La mort a pondu un œuf est une œuvre dont le contenu politique est malheureusement totalement actuel (on peut se souvenir de la manière dont le romancier Jonathan Coe traitait du même thème dans son formidable Testament à l'anglaise).


Si le propos n'est donc pas daté, la forme l'est considérablement plus. Les zooms brutaux, les cadrages improbables, les transitions abruptes, les gros plans répétés sur des têtes de poulets apparaissaient peut-être comme une audace durant les années 60 mais donnent aujourd'hui a La mort a pondu un œuf un aspect quelque peu prétentieux dans la mesure ou ils surchargent le film de procédés modernistes lourdingues. Il y a également un énorme problème de rythme tant tout le monde semble faire du surplace, l'essentiel de l'action se concentrant durant les dix premières minutes et les dix dernières. Enfin, si les comédiens sont loin d'être mauvais, ils n'échappent pas à une certaine raideur probablement souhaitée par Questi et au final, La mort a pondu un œuf apparait comme un film à thèse beaucoup trop désincarné. Certes, le propos est novateur est qui plus est traité avec une réelle intelligence, et il serait mensonger de prétendre que Questi ne parvient pas occasionnellement à provoquer une sorte de fascination, mais celle-ci est uniquement intellectuelle et jamais charnelle. La mort a pondu un œuf est une curiosité originale et atypique, mais n'atteint malheureusement pas la force de Tire encore si tu peux ! , l'un des plus saisissants westerns italiens.

dimanche 25 janvier 2015

Sous les drapeaux, l'enfer (Kinji Fukasaku, 1972)


Sakie Togashi (Sachiko Hidari) se bat depuis vingt-six ans pour réhabiliter la mémoire de son mari Katsuo (Tetsuro Tamba). Celui-ci est décédé lors de la Seconde guerre mondiale, mais Sakie ne croit pas à la version selon laquelle son mari aurait été un déserteur. En désespoir de cause, elle rencontre ses anciens camarades pour découvrir la vérité.

Sous les drapeaux, l'enfer est aux côtés de Si tu étais jeune l'un des films de Fukasaku les plus personnels. Ils ont en commun le fait d'aborder frontalement une thématique récurrente dans l’œuvre du cinéaste (la guerre ici, le miracle économique nippon dans Si tu étais jeune) avec une grande crudité et l'envie de montrer l'envers du décor. Dans un cas comme dans l'autre, on aboutit parfois à un certain dogmatisme, mais Si tu étais jeune demeure plus constant et un peu plus fin. Le problème de Sous les drapeaux, l'enfer réside en grande partie dans sa structure : il oppose des scènes contemporaines durant lesquelles Sakie contacte les différents témoins de la mort de son mari, et des flashbacks, la plupart du temps en noir et blanc mais où la couleur vient parfois mettre en valeur les moments les plus forts. Le problème, c'est que les confrontations entre Sakie et les anciens militaires ne font qu'alourdir le propos et expliciter les choses déjà évidentes. Ainsi, Sous les drapeaux, l'enfer contient deux films en un : un véritable chef d’œuvre du film de guerre, et une sorte de mélodrame féminin plat et sans relief.


En effet, on peut être énervé face à la grossièreté de certaines métaphores. Tous les témoins portent en eux les séquelles de leur passé guerrier, du professeur qui tente de préserver la mémoire de guerre au commandant qui s'apprête à sortir un livre dessus, en passant par l'aveugle qui se fait symboliquement écraser par le retour de sa mauvaise conscience et le comédien de théâtre qui rejoue sur un mode bouffon une pièce se moquant de l'autoritarisme militaire. Le dialogue avec le commandant amène à un lien avec l'autre grande thématique fukasakienne, celle du boom économique de l'après-seconde guerre mondiale, mais la manière dont celui-ci est relié à la raison d'état et aux sacrifices de soldats est franchement lourdaude. Au-delà de l'aspect très explicatif du scénario, c'est également la partie durant laquelle la mise en scène de Fukasaku est le plus étonnamment académique. Sans doute est-ce lié au fait que le cinéaste est moins à l'aise avec les séquences mélodramatiques qui s'accordent très peu avec ses fulgurances baroques, mais heureusement toutes ces critiques ne s'appliquent pas aux flashbacks guerriers.



Lorsque l'on entre dans le vif du sujet, l'histoire devient autrement plus prenante. D'abord parce qu'on retrouve la mise en scène audacieuse de ses grands films : images d'archives utilisées avec virtuosité, arrêts sur images, cadrages penchés occasionnels... Les quelques moments en couleur sont d'une grande puissance émotionnelle et là ou certains films japonais tendaient parfois à occulter la part de responsabilité de leur pays uniquement vu sous un angle victimaire, le moins que l'on puisse dire est que Fukasaku remet les pendules à l'heure. Gradés fous furieux, exécutions pour l'exemple et cannibalisme sont de la partie et le moment de décapitation ratée d'un soldat égale en intensité les dernières minutes du Cimetière de la morale. Le découpage à la Rashomon est bien utilisé, car même si il aboutit à une vérité finale, non seulement celle-ci n'a rien de glorieux mais en plus elle demeurera ignorée par la version officielle fréquemment remise en question dans le film. Rarement l'obsession nippone de l'héroïsme guerrier n'a été remise en question avec autant de violence, celle-ci étant notamment représentée par l'officier qui tente de lancer une charge (non suivie) avant d'être tué inutilement au bout de quelques mètres. Ainsi, Sous les drapeaux, l'enfer est un film alternant le brillant et le pénible qui eut été une des plus grands réussites de son réalisateur si la partie contemporaine avait égalé en intensité les scènes à l'armée.

PS : la version visionnée durait environ 66 minutes sans qu'il ne semble manquer quoi que ce soit, or la durée mentionnée pratiquement partout est de 96 minutes et ce alors qu'il ne semble y avoir qu'un seul montage. Si quelqu'un possède le fin mot de l'histoire...

samedi 24 janvier 2015

La Ville abandonnée (William A. Wellman, 1948)





Un groupe de hors-la loi menés par Stretch (Gregory Peck) dévalise une banque et s'enfuit, poursuivi par les autorités. Après avoir traversé un désert, les six survivants trouvent refuge dans une ville fantôme où vivent la jeune Miche (Anne Baxter) et son grand-père, tous deux à la recherche d'or. L’appât du gain ne tarde pas à diviser les bandits.

Dès les premières minutes, il est évident que La Ville abandonnée n'est pas un western traditionnel. La traversée du désert durant laquelle Wellman s'attarde sur les visages suants et affaiblis de la petite bande (superbe décor qu'est la Vallée de la mort) annonce la sécheresse et l'apurement des westerns de Budd Boetticher ou Monte Hellman. On pense aussi parfois à Samuel Fuller, avec notamment le plan de l'intérieur d'un fusil qu'on retrouvera dans Quarante tueurs mais aussi les rapports brutaux entre le héros et le personnage féminin (notamment une scène de baiser volé d'une violence surprenante). Il y a quelque chose d'ascétique chez Wellman, un refus à la fois du spectaculaire et des excès dramatiques ; un compagnon de Gregory Peck peut s'évanouir sous l'effet de la chaleur sans que celui-ci ne s'en émeuve outre-mesure, tandis que le règlement de comptes final est quant à lui relégué hors-champ ! Paradoxalement, La Ville abandonnée est un film constamment tendu et dont l'économie de moyen ne vient jamais diminuer le suspens, bien au contraire. Stretch est également un héros atypique : au départ, rien ne le différencie des autres bandits de son groupe. Seule la rencontre avec Anne Baxter parvient à le remettre dans le droit chemin (après que celle-ci lui a tiré une balle sur le coin de la tête !).



La thématique générale se rapproche du Trésor de la Sierra Madre : un petit groupe de personnages à la moralité douteuse s'entretuent pour de l'argent. Au sein du groupe de six, deux autres fortes personnalités se distinguent : Dude, qui ne s'intéresse qu'à l'argent, et Lenghtry le pervers qui semble toujours à deux doigts de violer la jeune femme. Il y a donc une double menace pesant sur Stretch et sur les deux habitants, avec les trois derniers membres de la bande dont la loyauté apparait comme incertaine ; mais cette menace est traitée sans lourdeur : par exemple, Walrus et Half Pint sont d'abord présentés comme deux irrécupérables avant que les choses ne se révèlent plus ambiguës. Le scénario de Burnett et Lamar Trotti tient en haleine jusqu'au bout et si la dernière scène cède un peu maladroitement au happy-end de rigueur, on n'est pas prêt d'oublier le moment ou Gregory Peck est à deux doigts de noyer John Russell. La qualité des acteurs fait beaucoup pour le film ; si un rôle de psychopathe pour Richard Widmark n'est certes pas inhabituel, l'acteur s'y prend ici avec une sobriété qui le rend d'autant plus inquiétant (à l'inverse, John Russell incarne une brute épaisse  dont l'instabilité est évidente). Enfin, le couple formé par le garçon manqué Anne Baxter et le narquois Gregory Peck fonctionne excellemment.



On retrouve plusieurs décors et types de cadrage d'un autre grand western de Wellman : L’Étrange incident dans lequel Henry Fonda tentait de s'opposer à un lynchage. Si La Ville abandonnée est un poil moins ambitieux thématiquement, il est toutefois encore plus intéressant en ce qui concerne la mise en scène.
Les successions de gros plans sur chacun des personnages anticipe la manière dont Sergio Leone filmera ses bandits, le tout étant magnifié par la splendide photographie de Joseph MacDonald. Avec vingt ans d'avance sur les westerns dits révisionnistes, Wellman joue sur l'attente, sur l'absence d'action pour installer une ambiance déliquescente. Il montre aussi les limites d'un célèbre article d'André Bazin sur ce que le critique appelait " le surwestern " : opposer de manière schématique les westerns psychologiques de Stevens ou Zinnemann à la " pureté " des films Boetticher peut apparaitre séduisant, à condition de n'avoir jamais vu de westerns de Wellman qui combinent l'ambition des premiers et la sécheresse des seconds. Bref, La Ville abandonnée est une merveille.

vendredi 23 janvier 2015

Metade Fumaca (Riley Yip, 2000)



Mountain Leopard (Eric Tsang), un caïd, rentre du Brésil. Témoin d'un incident durant lequel le jeune Smokey (Nicholas Tse) révèle son courage, il décide de l'engager pour tuer Nine Dragons, l'homme qui a volé sa femme il y a trente ans et l'a contraint à l'exil. Mais Mountain Leopard est âgé et sa mémoire contredit parfois la réalité.

En voilà un très drôle de film, davantage centré sur ses personnages plutôt que sur l'intrigue qui les lie. Par exemple, les scènes avec Anthony Wong en vieux mafieux racontant ses exploits imaginaires n'ont aucun intérêt narratif ; ce qui pourrait sembler ailleurs un défaut rédhibitoire n'est absolument pas problématique ici dans la mesure ou Metade Fumaca semble systématiquement vouloir prendre le contre-pied des clichés et des attentes du spectateur. On s'attend forcément à un lien entre Eric Tsang, parti depuis trente ans, et la mère de Nicholas Tse, tombée enceinte trente ans auparavant ; il n'y en a aucun. Tout comme on s'attend à une confrontation entre Mountain Leopard et Nine Dragons, tout comme on espère un minimum de développement dans la relation entre Nicholas Tse et Dee Dee. La structure de Metade Fumaca semble s'articuler uniquement autour de transitions ou d'inversions par rapport aux productions habituelles, et il est systématiquement impossible d'anticiper la prochaine scène, le tout gardant miraculeusement une cohérence propre. En ce sens, tout comme Jiang Hu - the triad zone sorti la même année, Metade Fumaca est l'un des derniers restes venant rappeler l'inégalable talent des cinéastes hongkongais en ce qui concerne le maniement de la rupture de ton tant l'un comme l'autre savent bifurquer de la comédie au drame avec beaucoup d'aisance.


Au programme donc de cette galerie de personnages déjantés : une mafieuse aux ambitions littéraires qui convoque les auteurs pour les faire dédicacer ; un petit truand minable revenu de Los angeles s'exprimant dans une sorte d'anglo-chinois totalement grotesque ; deux anciens bouchers au passé outrageusement idéalisé, et quelques jeunes se battant sans savoir pourquoi. Si la plupart d'entre eu ont d'abord une fonction comique (et le film est très réussi sur ce point, la plupart des gags font mouche) on trouve aussi une mère attendant le père de son fils depuis trente ans, ou une Shu Qi en femme ultra-fantasmée qui obsède Eric Tsang. Évidemment, la succession de saynètes ne va pas sans donner au film un aspect quelque peu inégal, mais très régulièrement arrive une situation délirante ou un moment touchant pour le relancer : Tsang et Tse se cachant sous un piano pour éviter la pluie, leur rencontre initiale ou l'un perd un hachoir et l'autre un pistolet, ou encore la fabuleuse séquence digne d'un wu xia pian durant laquelle Sam Lee et Stephen Fung se battent à coups de machette.


Sur le papier, la distribution a de quoi faire rêver ; et pour une fois, le résultat est à la hauteur des espérances. Eric Tsang trouve l'un de ses meilleurs rôles, ridicule, amusant, bougon attachant, tout comme Nicholas Tse en petit frappe désintéressée. Anthony Wong, Sandra Ng et Shu Qi arrivent à imposer leurs personnages malgré un temps de présence à l'écran réduit tandis que la photo de Peter Pau est également à mettre au crédit du film. On sera un petit peu plus réservé quant à une mise en scène parfois maladroite (les bagarres caméra à l'épaule un peu brouillonnes) et parfois pompière (les moments à la Wong Kar-wai), sur une fin quelque peu frustrante ainsi que sur une musique qui ne semble coller à l'action qu'une fois sur deux. Il n'en demeure pas moins qu'on sort de Metade Fumaca avec le sentiment d'avoir découvert une œuvre très originale, une de celles dont les singularités balayent d'un revers de la main ses petites imperfections et dont le capital sympathie est très fort en ce qui nous concerne. Metade Fumaca est donc bien à la hauteur de sa flatteuse réputation, et doit être redécouvert de toute urgence.

mardi 20 janvier 2015

Maciste, le vengeur du dieu maya (Guido Malatesta, 1965)



La reine Aloha (Barbara Loy) voit son peuple se faire exterminer à l'occasion d'un raid ennemi. Elle trouve refuge au sein d'une tribu maya, à son tour attaquée par des troglodytes qui enlèvent Aloha pour l'offrir au géant Goliath. Hercule (Kirk Morris), présent lors de l'enlèvement, décide de mener l'assaut des mayas pour délivrer les captives.

Pour ce qui est des traductions françaises des titres de péplums, on croyait avoir tout vu. Des titres délirants (Tarzan chez les coupeurs de têtes, Maciste contre Zorro, Goldocrack à la conquête de l'Atlantide), d'autres mensongers voir doublement mensongers (Hercule contre Spartacus dans lequel on ne trouve ni Hercule ni Spartacus). Mais l'effort fourni ici est notable : d'abord, il n'y a pas de dieu. Ensuite, il n'y a pas de mayas (pour être exact il y a bien une tribu se faisant appeler mayas dans le film, mais il s'agit de paysans au style hellénique sans aucun rapport avec l'Amérique précolombienne). Quant au Maciste du titre, il a tôt fait de se présenter d'un laconique " je suis Hercule ! " achevant de transformer l'intitulé en un hors-sujet presque parfait. Hors-sujet, c'est également la manière dont on pourrait résumer la prestation désastreuse de Kirk Morris ; déjà peu charismatique en temps normal, le culturiste abandonne toute ambition d'exprimer une quelconque émotion et traverse le film avec la détermination d'un paresseux sous calmants. Galvanisés par une telle puissance de jeu, les seconds rôles s'appliquent à ne surtout pas faire de l'ombre à la vedette et seul l'acteur jouant Goliath, nommé " Koloss " (???) et dont la filmographie n'est composée que ce film, arrive à imposer son impressionnant physique faute d'avoir le moindre talent d'acteur.



Le plus curieux, c'est qu'il s'agit du Hercule contenant le plus d'action depuis longtemps. Les scènes de foule sont nombreuses et une fois n'est pas coutume, il y a peu de scènes présentes uniquement pour meubler ce film relativement rythmé : et pour cause, les stock-shot sont légion et Malatesta n'hésite pas à reprendre des scènes de tous les films lui tombant sous la main. Un autre problème réside dans le fait que Malatesta-réalisateur se révèle absolument incompétent pour donner la moindre ampleur aux combats. Le montage est brouillon (la séquence voyant la fin des troglodytes est désastreuse sur ce plan) et les figurants ne font aucun effort. Mais Malatesta n'est pas seulement le metteur en scène, il est aussi un scénariste doté d'un CV fourni dans le péplum (Maciste contre Zorro et Tarzan chez les coupeurs de têtes étaient déjà son œuvre). Sans imagination, il se contente de décalquer les idées vues ici et là sans leur apporter quoi que ce soit : les troglodytes renvoient à Ulysse contre Hercule, les sacrifices et le " monstre " auquel une femme est promise qui rappellent Hercule contre Moloch. On aura toutefois droit à un superbe Elasmosaure caoutchouteux du plus bel effet... repris sur Maciste contre les monstres écrit et réalisé par Malatesta ! Au vu du fait que Goliath est le principal intérêt du long-métrage, il est également frustrant de constater que son combat final contre Hercule a été outrageusement bâclé.



Que dire de plus ? Non seulement le film est mauvais, mais en plus son metteur en scène fait preuve d'un cynisme déplorable en s'auto-plagiant pour son dernier péplum. Maciste, le vengeur du dieu maya transpire l'absence de conviction par tous les pores, réalisé par un cinéaste qui n'y croit pas avec un acteur qui n'y croit guère plus (aussi médiocre soit Kirk Morris habituellement, il est évident qu'ici il s'en fiche). Si Hercule l'invincible demeure, grâce à son humour insupportable et à la prestation indépassable de Dan Vadis, le pire Hercule que l'on a pu voir, on est ici face à l'un de ses plus immédiats suiveurs qui n'a pour lui que son absence de remplissage inutile (80 minutes seulement). Le public ne s'y trompa pas et en 1965, Hercule et Maciste étaient définitivement ringardisés par le Ringo tessarien ou l'Homme sans nom leonien.
Un film exécrable.

dimanche 18 janvier 2015

La Route de la violence (Jonathan Kaplan, 1975)


Carrol Jo Hummer (Jan-Michael Vincent), un jeune chauffeur rentré du Vietnam, cherche du travail. Duane Heller (Slim Pickens) lui propose de transporter des marchandises de contrebande, ce que Carrol Jo refuse. L'organisation à laquelle Heller appartient décide alors de mettre Carrol Jo sur la touche par tous les moyens possibles.

Si la route fut souvent un symbole de liberté au sein du cinéma américain, cette tendance fut particulièrement marquée durant les années 70 avec notamment deux grands chefs d’œuvre du genre : Point limite zéro de Richard Sarafian et Macadam à deux voies de Monte Hellman. Loin de l'ambition de ces titres, on trouve une poignée de petites séries B motorisées tels que cette Route de la violence réalisée par un Jonathan Kaplan revenant du monde de la blaxploitation (Truck Turner). D'une certaine manière, La Route de la violence est au road movie ce que Les Quatre de l'apocalypse sont au western spaghetti : un ratage beaucoup plus attachant pour ce qu'il dit que pour la manière dont il le dit, à la fois très sympathique et trop bancal cinématographiquement. Il y a par exemple un énorme déficit de traitement des méchants : Buck est présenté comme l'antagoniste durant les trois quarts du films, puis un quart d'heure avant la fin Cutler apparait comme étant la véritable éminence grise. Si cette idée est logique par rapport à la thématique générale (la lutte entre des indépendants et les grandes compagnies ou tout le monde est interchangeable), elle affaiblit les figures d'antagonistes et il est difficile de voir en Cutler une opposition un tant soit peu crédible à notre héros sans peur et sans reproche.



D'une certaine manière, il s'agirait d'un Tuez Charley Varrick ! ou le braqueur est remplacé par un convoyeur. Toutes les formes d'autorité sont ici dévoyées : les flics sont des brutes épaisses sadiques aux ordres des patrons, les juges ne valent pas mieux et la seule alternative offerte réside dans l'union des déclassés (voir notamment le jeune noir qui refuse de s'allier au blanc, avant que le meurtre de son ami ne lui ouvre les yeux). Le discours politique radical porte la marque d'une époque ou les utopies sociales avaient encore droit de cité et en dépit de la naïveté du propos, on se prend à apprécier la sincérité de celui-ci. En revanche, l'action se fait bien trop rare : passé une poursuite relativement bâclée au bout d'une demi-heure, il faut attendre les cinq dernières minutes pour voir notre héros en camion être pourchassé. A l'exception de la cascade finale, La Route de la violence manque de spectaculaire et on est très loin de la démesure du carambolage du Grand casse, par exemple. Le film connait également d'importants problèmes de rythme avec notamment une partie centrale qui s'éternise et des scènes de couple entre Jan-Michael Vincent et Kay Lenz qui ne sont guère palpitantes ; enfin, le montage est souvent maladroit à l'image de sa conclusion qui aurait nécessité beaucoup plus de rigueur sur ce point.



Ce qui est perdu en maitrise de la mise en scène et en tôle froissée est quelque peu compensé par la sympathie qu'on éprouve pour les personnages - les noirs sont moins stéréotypés et plus intéressants que de coutume dans le cinéma américain de l'époque -, Jan-Michael Vincent en tête mais celui-ci est très bien secondé par la belle Kay Lenz et par les délicieusement vicieux Slim Pickens et LQ Jones. L'ambiance issue de la contre-culture et la musique country achèvent de faire de La Route de la violence un pur produit 70's et même si l'époque connut des réussites autrement plus notables, le film de Kaplan n'est pas dénué de ce charme d'époque qui permet à certaines œuvres moyennes de se regarder encore avec un certain plaisir des années après. On lui préfère l'empilage de destructions du Grand casse ou le sympathique portrait de couple de Larry le dingue, Mary la garce, mais même si il n'a rien d'un grand metteur en scène, Kaplan aura su divertir là ou son Truck Turner nous avait semblé particulièrement anecdotique.

samedi 17 janvier 2015

La mort était au rendez-vous (Giulio Petroni, 1967)


Un convoi d'or est attaqué par quatre bandits, qui assassinent ensuite une famille innocente. Bill (John Philip Law), un jeune garçon, est le seul rescapé. Quinze ans plus tard, Bill, devenu un tireur exceptionnel, rencontre le mystérieux Ryan (Lee Van Cleef) qui sort de prison. Tous deux recherchent les mêmes hommes mais leurs motivations diffèrent.

En dépit d'une certaine unanimité critique autour du film de Petroni (les spécialistes Jean-François Giré, Gian Lhassa, Jean-Marie Sabatier et Laurence Staig le considèrent tous comme une grande réussite), et en dépit du fait que celui-ci se situe effectivement dans le haut du panier du western transalpin, il n'en demeure pas moins que La mort était au rendez-vous est légèrement décevant. Comme on a pu le dire à propos du Grand Duel, les deux films partagent en plus de Lee Van Cleef une certaine rigueur ainsi qu'une incapacité à se démarquer de l'influence leonienne. Le néophyte surestime souvent le nombre d'emprunts au grand Sergio réalisés par d'autres cinéastes (des œuvres comme Tire encore si tu peux, Et le vent apporta la violence ou Matalo ! sont pourtant très loin de l'esthétique du maître) mais La mort était au rendez-vous fait partie des quelques titres pour lesquels l'affirmation devient vraie. En cause, la présence du scénariste Luciano Vincenzoni responsable entre autres de Et pour quelques dollars de plus. Celui-ci aurait d'ailleurs était engagé par les studios pour capitaliser sur le succès du film de Leone selon son propre aveu, d'où de nombreuses similarités tant dans l'histoire (le rapport à la fois rival et filial entre les deux personnages principaux, la vengeance comme moteur de l'action, les flashbacks, les passages à tabac ou encore le règlements de comptes à deux contre toute une bande dans un coin déserté) que dans la distribution où l'on retrouve bon nombre de têtes connues.



Comme pour Le Grand duel, le film bénéficie de la présence de Lee Van Cleef autant qu'il souffre de la présence de son jeune acolyte. John Phillip Law en simli-Clint Eastwood se révélant très médiocre. Heureusement, un superbe casting de méchants vient rehausser l'intérêt puisqu'on y trouve à la fois Anthony Dawson, José Torres, Luigi Pistilli et Mario Brega. Si leurs motivations ne sont pas extrêmement développées (globalement, les intérêts des quatre tueurs ne divergent guère si ce n'est le fait que José Torres souhaite également venger son frère), chacun d'entre eux a juste assez de temps à l'écran pour imposer un sourire goguenard ou un air patibulaire. Une originalité du scénario de Vincenzoni réside dans le côté " jeu de piste " de l'histoire : John Philip Law ne connait pas l'identité des tueurs mais seulement des indices (un visage, une boucle d'oreille, un tatouage, une cicatrice...) qui l'amèneront à retrouver les coupables. L'alternance entre les conflits Law/Van Cleef et la trame générale permet à Petroni de maintenir son film à flots sur la durée, et les scènes d'introduction - sous la pluie - et de conclusion - durant une tempête de sable - sont de très beaux moments de cinéma.



La partition d'Ennio Morricone, lyrique et empathique, est très intéressante mais comme souvent employée de manière trop répétitive. On comprend facilement la très bonne réputation du film de Petroni : sa rigueur (à échelle italienne bien sur), son script relativement cohérent et sa facture visuelle correcte le rendent oh combien plus agréable à regarder qu'un quelconque Priez les morts, tuez les vivants par exemple. Mais c'est un film qui a peu de personnalité ; ni réellement politique (les notables corrompus semblent ici être des archétypes plutôt que des éléments de discours) ni fantastique ni gore ni délirant, il peine à être plus qu'un western spaghetti bien fait qui surnage sans problème dans une production d'ensemble médiocre. Mais au moins a t-il le mérite de ne jamais se perdre dans des détours inutiles (pas de personnage féminin, pas de digressions) et de remplir totalement son cahier des charges rayon sadisme, fusillades, duels et autres parties de poker. Petroni se révèlera beaucoup moins à l'aise dans ses westerns allégoriques (Tepepa) ou comiques.

vendredi 16 janvier 2015

Le Trésor de Cantenac (Sacha Guitry, 1950)




Le baron de Cantenac (Sacha Guitry), ruiné, projette de se suicider. Il décide de se rendre pour la dernière fois dans le village de ses ancêtres. Sur place, un centenaire (Marcel Simon) lui annonce qu'il gardait un trésor caché depuis la révolution en attendant le retour des Cantenac. Le baron décide d'utiliser le trésor pour relancer l'activité du village.

Peut-être le Guitry le plus roche de son chef d’œuvre Le Roman d'un tricheur, Le Trésor de Cantenac doit sans doute à son illustre rival le fait d'apparaitre comme quelque peu mineur dans la filmographie du cinéaste. Évidemment, Le Trésor de Cantenac n'a pas l'éclatante modernité de son prédécesseur et le fait de raconter l'histoire en grande partie par le biais d'une voix-off caustique n'est plus aussi novateur en 1950 qu'en 1936, d'autant plus que le procédé est ici moins systématique. Pour autant, la première partie est excellente ; elle permet à Guitry de présenter toute une galerie de personnages croqués avec ironie, au sein d'un village moribond peuplé d'uniquement deux familles. Certains passages (le triangle amoureux ou l'amant terrorise le mari, l'aïeul qui joue à simuler sa mort) sont très drôles et le phrasé lyrique de Guitry fait comme souvent merveille. Son personnage est assez original puisqu'il s'agit d'une sorte d'aristocrate républicain quelque peu hors du temps ; l'on pourrait croire que certains aspects plus politiques dans la satire (notamment l'instituteur socialiste) donneraient lieu à un règlement de comptes un poil réactionnaire, mais Guitry parvient à trouver le ton juste et à diluer juste ce qu'il faut d'empathie dans son jeu de massacre qui fait parfois penser à La Poison.


Si la première moitié convainc globalement, la seconde n'en retrouve pas tout à fait la verve. En effet, une fois le trésor éponyme retrouvé, la situation s'améliore et le visage reprend progressivement vie. Or, Guitry n'est jamais aussi à l'aise que dans un univers cynique et immoral et la fable humaniste ne lui permet pas d'aligner les fulgurances verbales de ses œuvres ironiques. Qui plus est, si Guitry est toujours un excellent acteur, le couple formé par sa compagne Lana Marconi (très loin de faire oublier l'élégance et le charisme de Jacqueline Delubac) et par Michel Lemoine pâtit du manque de relief des deux interprètes. Pour autant, il y a quelque chose de touchant dans l'humanité du baron et dans son désir de s'intégrer dans la bonne marche du village. Le ton plus mélancolique, plus nostalgique donné par un cinéaste entamant sa dernière décennie de cinéma se révèle finalement très attachant, de même que sa volonté de " passer le relai " aux personnages plus jeunes comme le couple Pidoux-Lacassagne.



Une grande qualité du Trésor de Cantenac réside dans sa distribution de seconds rôles. René Génin dans un double rôle (le maire et le curé qui se détestent alors qu'ils sont jumeaux et scindent la ville en deux camps), Marcel Simon en centenaire rigolard (" il a 128 ans mais en parait à peine 110 ") et l'étrange Roger Legris fou à moitié poète (ou l'inverse ?) sont excellents. Les deux derniers sont d'ailleurs ceux vers lesquels l'affection du cinéaste se dirige en priorité, ceux qu'il sauve de la férocité de son trait.
Il ne faudrait pas juger trop sévèrement le Trésor de Cantenac en le comparant à tel ou tel Guitry plus abouti ; il demeure dans la bonne moyenne d'un des cinéastes français les plus talentueux de l'histoire. Comparée à celle du Roman d'un tricheur, sa fantaisie peine à apparaitre, mais dans le contexte du début des années 50, son inventivité et sa fraicheur (les préparatifs du suicide du baron, les amoureux qui se boudent et s'imaginent l'un et l'autre différemment) s'opposent joyeusement aux tendances académiques d'une partie de la production hexagonale. Et encore une fois chez Guitry, on notera un générique personnalisé puisqu'on y voit les différents acteurs lui raconter l'histoire de Cantenac, Guitry acceptant de monter le film avec son équipe à condition de pouvoir y jouer le rôle du baron...

mercredi 14 janvier 2015

Point Break (Kathryn Bigelow, 1991)



Un jeune agent du FBI, Johnny Utah (Keanu Reeves) est affecté avec Angelo Papas (Gary Busey), un vieux routier sur la piste d'une bande de braqueurs de banques. Angelo est convaincu du fait que les casseurs sont en réalité des surfeurs. Johnny tente alors d'infiltrer un groupe mené par Bodhi (Patrick Swayze) en séduisant la jeune Tyler (Lori Petty).

Derrière ses apparences de divertissement du dimanche soir, Point Break est l'un des plus beaux blockbusters des années 90 et l'un des meilleurs films de Kathryn Bigelow. On y trouve un certain nombre de similitudes avec Aux frontières de l'aube : un héros tiraillé entre ses origines (sa famille/la police) et sa famille adoptive (les vampires/les surfeurs) ou il fut introduit par une femme (May/Tyler) qu'il tente d'extraire de son milieu. Encore une fois, les " méchants " sont loin d'être monolithiques et si la relation entre Johnny et Bodhi fonctionne aussi bien, c'est parce qu'elle dépasse le simple cadre de la lutte entre un flic et sa proie. Bodhi est ainsi, plus encore que Tyler, la personne qui permettra à Johnny de s'intégrer dans la petite bande ; lorsque celui-ci lui chipe son ex-petite amie, Bodhi ne fait rien pour l'en empêcher et se révèle sincère dans sa démarche proche de l'idéal hippie. Enfin, la magnifique séquence de chute libre montre que même une fois que Bodhi a appris que son protégé n'était qu'un flic infiltré, son empathie ne disparait pas ; la conclusion lui donne en quelque sorte le dernier mot, achevant de faire de Bodhi l'un des méchants de cinéma d'action les plus intéressants. Comme pour Aux frontières de l'aube, le héros revient du monde libertaire sans renier totalement celui-ci ce qui permet au film d'éviter le côté moralisateur.



Encore une fois, la mise en scène de Kathryn Bigelow fait merveille et les divers braquages et fusillades devraient être montrés en école de cinéma. La course-poursuite à pied a justement fait date et globalement Point Break n'a rien à envier aux grands films testostéronés signés Cameron ou McTiernan à la même époque : le film est du début à la fin une merveille de lisibilité. Même hors-action, on trouve régulièrement ici et là d'excellentes idées (le plan-séquence lors de la rencontre entre Keanu Reeves et John C. McGinley) mais Point Break est tout aussi convaincant lors de ses parties romance ou comédie avec notamment un Gary Busey déchainé en mentor policier de Keanu Reeves. Celui-ci demeure le principal point faible du film tant son expressivité limitée n'est pas à la hauteur de ce que ressent son personnage ; l'acteur semble jouer de la même façon dans tous ses films (une exception : sa performance surprenante dans My Own Private Idaho) et se fait voler la vedette dans chacune de ses confrontations avec Patrick Swayze dans son meilleur rôle, touchant, charismatique et ambigu. Les seconds rôles sont également excellents avec un Gary Busey misanthrope, un John C. McGinley tête à claques et une très belle Lori Petty.



On reproche régulièrement à Point Break la simplicité de ses personnages et de ses situations. Mais même un grand film comme Piège de cristal n'est pas exempt de gros clichés (les agents du FBI cyniques et incompétents, le journaliste opportuniste) ; le cinéma d'action repose depuis longtemps sur des archétypes qu'on transpose d'un milieu à l'autre sans opérer de changements radicaux, archétypes qui ne sont pas problématiques pour peu qu'on parvienne à croire dans les personnages. Les surfeurs sont relativement immatures dans leurs idéaux mais on comprend facilement l'attraction que ceux-ci peuvent exercer sur un tout jeune Keanu Reeves en manque de sensations fortes, comme les vampires d'Aux frontières de l'aube ou les motards de The Loveless (autres personnages issus d'une forme de contre-culture) étaient filmés avec une certaine tendresse. Il est difficile de dire quelle fut l'importance de James Cameron, ici producteur, sur le scénario (les éléments liés à la mer et à la fameuse " métaphysique de la vague " semblent porter sa marque) mais quoi qu'il en soit, Point Break est un superbe film aussi agréable à regarder plus de vingt ans après sa sortie.

mardi 13 janvier 2015

Lady Yakuza 8 : le code yakuza (Buichi Saito, 1972)



Oryu (Junko Fuji) rencontre Takahashi (Sugawara Bunta), un homme solitaire lié profondément à Iwaki (Hiroki Matsukata), lui-même en disgrâce auprès de son clan. Le clan est géré par madame Okata qui à son décès charge Iwaki de prendre la succession, à la grande colère de Matsukawa qui espérait que la mission lui serait confiée.

Ultime volet de la saga, cet épisode signé du réalisateur de Baby Cart IV : l'âme d'un père, le coeur d'un fils est bien moins convaincant que l'incursion de Saito dans l'univers de Kazuo Koike. Passer après deux épisodes signés Tai Kato est évidemment délicat, mais on attendait plus du cinéaste qu'une mise en scène plate dont la principale innovation réside dans la présence accrue de la musique. Celle-ci est d'ailleurs mal employée et vient gâcher la grande majorité des scènes durant lesquelles elle intervient ; visuellement, le film est plus convaincant tandis qu'encore une fois le scénario égraine tout ce qu'il faut de dilemmes, de mâles protecteurs, de mauvais clans et de rivalités fratricides, ici entre l'héritier supposé (Matsukawa) et l'héritier réel (Iwaki) de madame Okata, le premier ayant trimé des années pour constater amèrement la préférence de sa maitresse pour le second. A côté de ce duo assez archétypal, on retrouve l'excellent Sugawara Bunta en Takahashi, frère de sang d'Iwaki, tout un tas de méchants très méchants ainsi que la fille adultérine du mari de madame Okata. Les scènes entre Oryu et elle sont assez peu crédibles dans leur abus de bons sentiments (la gentille jeune fille qui comprend parfaitement que sa mère ait été répudiée !). Enfin, rajoutons un couple formé par un bon yakuza et la sœur d'un des méchants et on verra qu'en dépit de l'absence de Suzuki au scénario (remplacé par Koji Takada qui écrira les derniers films d'Hideo Gosha), l'on reste toujours en territoire connu.


Évidemment, il y a toujours le charisme des acteurs pour faire passer la pilule. Le casting est d'ailleurs très fukasakien puisque le duo Sugawara/Matsukata se retrouve dans plusieurs Combat sans code d'honneur ou dans Police contre syndicat du crime. On aurait pardonné beaucoup à Saito dans la mesure ou enfin, après six apparitions en sept épisodes ou son rôle de bouffon provoquait généralement la gêne, le metteur en scène à enfin donné à Tomisaburo Wakayama l'occasion de participer au combat final... Sauf que sa participation dans celui-ci se résume à tirer quelques coups de pistolet et à laisser à Sugawara et Fuji l'essentiel du travail ! Il s'agit d'un énorme gâchis tant sa crédibilité comme sabreur est largement supérieure à celle de Fuji. De même, le personnage d'Iwaki est trop éteint pour entrainer l'adhésion et on s'attache finalement plus à l'ultra-frustré Matsukawa. Encore une fois, cet épisode est loin d'être honteux (il est assez clairement supérieur aux numéros 4 et 5) mais n'apporte pas grand chose d'inédit, et rate le peu de choses potentiellement intéressantes. Scénaristiquement, on pourrait facilement le confondre avec n'importe quel autre volet ; formellement, Saito sait composer de beaux plans mais ne parvient jamais à donner un minimum de dynamisme à l'ensemble.
 

On quitte donc la saga sur une impression quelque peu mitigée ; celle-ci aura globalement valu ce que valaient ses réalisateurs. En dehors de la révélation Tai Kato, elle aura connu un artisanat consciencieux (Suzuki), maladroit (Saito, Yamashita) voir mauvais (Ogawa). La présence d'une héroïne ne lui donne jamais la dimension rageuse qu'avait la Meiko Kaji des Lady Snowblood ou des Sasori mais tend au contraire à renforcer le sentimentalisme propre aux ninkyo, dont la saga a les qualités (acteurs impliqués et moins cabotins que dans les films de yakuzas " réalistes ") et les défauts (histoires redondantes, aspect parfois larmoyant). Moins essentielle que d'autres sagas nippones donc, Lady Yakuza tout comme Brutal tales of chivalry mérite toutefois largement le coup d’œil de la part des amateurs les plus curieux de cinéma japonais.

dimanche 11 janvier 2015

La Tarentule au ventre noir (Paolo Cavara, 1971)



Maria Zani (Barbara Bouchet), une cliente délurée d'un salon de massage, est victime d'un chantage avant d'être assassinée. L'inspecteur Tellini (Giancarlo Giannini) oriente en premier lieu l'enquête sur un réseau de trafiquants de drogue alors que le tueur commet de nouveaux meurtres, allant jusqu'à menacer personnellement Tellini.

La renommée du film de Paolo Cavara est essentiellement liée à son casting féminin : Stefania Sandrelli, Barbara Bouchet, Claudine Auger et Barbara Bach (soit pas moins de trois James Bond girls) sont tour à tour victimes d'un mystérieux assassin qui paralyse ses victimes en leur plantant une aiguille dans la nuque avant de les éventrer. Curieusement, c'est pourtant le personnage masculin principal qui est le plus intéressant et Giancarlo Giannini compose une très attachante figure de policier qui s'effraie de l'ingérence du tueur dans sa vie privée. Ses scènes de couple loufoques avec Stefania Sandrelli ne manquent pas de charme, et le jeu de Giannini illustre bien la perte de contrôle de l'enquêteur qui finit par un déferlement de violence. En dépit de la présence de très belles actrices, La Tarentule au ventre noir est lourdement handicapé par un scénario plutôt calamiteux, encore plus incohérent que celui du Tueur à l'orchidée d'Umberto Lenzi. Les motivations du tueur sont ridicules et plusieurs intrigues se greffent les unes aux autres (le trafic de drogue, le chantage aux photos compromettantes, la fuite du mari de la première victime) avec énormément de maladresse. Typiquement, on passe d'une victime à une autre et chacune d'entre elles n'a de cesse de donner à tout le monde de bonnes raisons de la tuer (raisons qui n'ont évidemment aucun rapport avec le motif réel de l'assassin) ; il est symptomatique que le film ne se résolve pas par une incursion du policier sur le territoire de l'assassin mais par le contraire.



Formellement comme thématiquement, Cavara s'inscrit dans le sillage de l'Oiseau au plumage de cristal de Dario Argento et de Six femmes pour l'assassin de Bava, mais ce faisant il met en lumière la grande différence de niveau entre les cinéastes. Si les meurtres sont plutôt réussis (leur cruauté n'y étant pas pour rien), les poursuites sont souvent mal filmées et de manière générale le réalisateur semble souvent ne pas savoir où cadrer. Si on retrouve les décors modernistes chers au réalisateur des Frissons de l'angoisse, Cavara ne parvient pas à leur donner le relief nécessaire pour en faire des vecteurs de perte de repère. La photo est perfectible et le thème principal légèrement érotique de Morricone, composé de râles féminins, est employé ad nauseam au point d’entamer sérieusement la patience du spectateur. Les amateurs de giallo seront en territoire connu dans la mesure où l'on retrouve la grammaire visuelle habituelle (beaucoup de sang, des mains gantées, des jeunes femmes nues, de la caméra subjective du point de vue du tueur) mais sans jamais donner d'univers personnel à son film ; les giallo-machination de Fulci et Martino arriveront à sortir le genre de la tutelle d'Argento, chose dont Cavara est malheureusement incapable ici.



En dépit de tous ses défauts, La Tarentule au ventre noir n'est pas complètement catastrophique. Ici et là surgissent parfois quelques belles idées de mise en scène (la femme cachée au milieu des mannequins déjà vue chez Bava, le tunnel lors de la scène finale qui contredirait mon argument précédent sur les décors). Mais surtout, le film est maintenu à flot par l'intérêt qu'on porte au personnage de Giancarlo Giannini, faible et en proie au doute. Rarement un personnage principal de giallo n'a semblé aussi humain dans ses faiblesses et là ou habituellement les meurtres priment sur l'enquête, ici le paysage mental perturbé de Giannini s'avère plus intéressant que les histoires de bourgeoises droguées, lesbiennes et/ou nymphomanes plus stéréotypées les unes que les autres. On regrette d'autant plus que l'acteur n'ait trouvé ni scénario ni metteur en scène à la hauteur de la prestation apportée et qui auraient fait de ce giallo regardable le grand film espéré.

mardi 6 janvier 2015

Si tu étais jeune (Kinji Fukasaku, 1970)

 
Cinq amis fauchés décident d'acquérir un camion pour devenir entrepreneurs indépendants. Mais les difficultés se succèdent et bientôt, seuls Kikuo (Tetsuo Ishidate) et Asao (Gin Maeda) continuent l'aventure. Si les deux compères parviennent petit à petit à s'enrichir, l'évasion de l'un de leurs anciens camarades va semer la discorde.

Le capitalisme a souvent été un thème présent chez Fukasaku, notamment dans ses films de yakuzas où les valeurs libérales avaient pris la place de l'ancien code d'honneur. Mais Si tu étais jeune est l'un de ses rares films purement sociaux, où la violence physique est moins présente que d'habitude et où les personnages ne sont plus des révoltés mais des agents du système. Le camion représente l'objet de toutes les convoitises ; la lutte pour sa possession conduit à un mort au sein de la bande et au départ en prison d'un deuxième. Un troisième verra ses efforts réduits à néant par la naissance d'un enfant qui l'oblige à abandonner ses projets pour travailler immédiatement, et si la première partie du film semble faire de Kikuo et Asao des vainqueurs, la seconde détruit leurs illusions en présentant un conflit qui ne se règlera que lorsqu'Asao (le plus instinctif et le plus fragile des deux, de toute évidence le favori du cinéaste) mettra le feu au véhicule. Tout ceci n'est pas d'une extraordinaire finesse mais peu de metteurs en scène japonais ont aussi violemment confronté leur pays à l'envers du décor, aux laissés pour compte du miracle économique nippon. Et si il se termine sur une amorce de réconciliation, il n'en demeure pas moins un cruel constat d'échec ; des années plus tard, Takeshi Kitano (qui a souvent revendiqué l'héritage Fukasakien) conclura son Kids Return par une fin similaire, avec deux amis revenus à la case départ mais heureux d'être en vie.


Formellement, on retrouve toute la grammaire visuelle déjà déployée notamment dans Kamikaze Club (les arrêts sur image, les cadrages penchées, les zooms, les filtres) mais encore plus accentuée ici ; un an avant Guerre des gangs à Okinawa, on constate que tous les éléments visuels qui rendront célèbres ses films de yakuzas sont bien présents et si plusieurs films antérieurs voyaient pointer occasionnellement quelques audaces stylistiques (Le Caïd de Yokohama, Hommes, porcs et loups, Kamikaze Club) on est ici face à un cinéaste arrivé à maturité. Malheureusement, les acteurs n'ont pas l'intensité d'un Bunta Sugawara ou d'un Tetsuya Watari ; Tetsuo Ishidate surjoue régulièrement et si Gin Maeda est convenable, il n'offre pas de performance mémorable. Mais Fukasaku aura su utiliser son indépendance (le film est produit en dehors des studios, son échec le poussera d'ailleurs à rejoindre de nouveau la Toei) et n'aura pas hésité à montrer la répression policière, les ententes entre le patronat et les indépendants qui n'hésitent pas à abandonner la cause ouvrière lorsque leur intérêt personnel est en jeu ou encore la dureté du travail infligé aux enfants, Kikuo et Asao ayant partagé une enfance misérable.

 
Subjectivement, on préfère quand la critique est plus sous-jacente chez Fukasaku, quand ses films divertissent tout en reflétant l'état d'une société plutôt que lorsqu'ils sont plus frontaux comme c'est le cas ici. Mais il ne faudrait pas croire qu'en dépit de quelques symboles un peu appuyés (le camion nommé Indépendance numéro 1) on soit face à une œuvre théorique ; non seulement l'énergie bouillonnante du metteur en scène tempère énormément le côté fiction sociale, mais qui plus est les personnages sont intéressants car humains. En dépit de leurs défauts, de leur avidité et de l'égoïsme dont ils font souvent preuve, il est évident que l'empathie du cinéaste va pour eux comme elle allait pour Hirono dans les Combat sans code d'honneur. Kikuo et Asao ne sont d'ailleurs pas plus méritants que leurs camarades, seulement plus chanceux dans la mesure ou les nombreux efforts consacrés par ceux-ci n'ont jamais rien pesé face à un instant d'égarement, à une erreur commise au pire moment. Rare sont les œuvres à mettre en avant le hasard entrant en jeu dans la concrétisation d'une réussite, réussite qui sera ici bien éphémère.

vendredi 2 janvier 2015

La Sentinelle des maudits (Michael Winner, 1977)


Alison Parker (Cristina Raines), une modèle, décide de louer un appartement à New York. Alison rencontre ses étranges voisins : un vieil homme affable accompagné d'un chat noir, un couple de lesbiennes ou encore un prêtre aveugle. Petit à petit, Alison se sent perdre totalement pied, en dépit de l'aide apportée par son compagnon Michael Lerman (Chris Sarandon).

Michael Winner a toujours su flairer l'air du temps, en témoigne ce film très influencé par Roman Polanski lorgnant avec intérêt du côté de Rosemary's baby (la persécution ressentie par le personnage féminin, les voisins intrusifs) et du Locataire (le sentiment d'être poussé au suicide, l'ancien locataire " remplacé " par l'héroïne à la fin). Mais Winner est sans doute l'un des cinéastes les plus éloignés de l'univers pokansien, dont les films sont envahis de situations étranges qui conduisent au doute sur la réalité du complot ressenti par le personnage principal. Au contraire, Winner préfère des représentations outrées et clairement fantasmagoriques qui ne laissent aucun doute sur le caractère surnaturel des évènements, en partie du fait que tous les personnages importants (Alison, Michael, les prêtres) sont rapidement convaincus de la réalité de la menace. Ce qu'on perd en subtilité est quelque peu compensé par la réussite des moments les plus horrifiques ; ainsi le fait d'employer des acteurs difformes pour interpréter des démons est sans doute quelque chose de très discutable moralement, mais il faut reconnaitre que l'effet est redoutablement efficace et que la confrontation d'Alison aux forces du mal est un impressionnant moment de cinéma.



Il y a beaucoup de zones d'ombre dans le scénario qui peuvent au choix être vues positivement (volonté de ne pas tout rendre explicite) ou négativement (structure globale assez bancale). On optera plutôt pour la seconde option dans la mesure ou autant les scènes autour de Cristina Raines forment un ensemble assez homogène, autant celles concernant le passé trouble de Chris Sarandon - avec en prime une intrigue policière totalement inutile - se greffent maladroitement au reste, même si certains détails non explicités fonctionnent en l'état (le détective privé assassiné, le non-vieillissement d'Ava Gardner à la fin). Il est assez curieux de voir que là ou la majorité des films convoquant le diable ou ses envoyés proposent aux héros une porte de sortie (rédemption ou retour à la norme), le sauvetage concocté par Winner est très loin d'être réjouissant ; et si cette fin en demi-teinte est intéressante, elle met en lumière le puritanisme exagéré d'un script dans lequel le péché est omniprésent et s'incarne sous des formes (lesbianisme, tentatives de suicide) assez contestables. Les thématiques chrétiennes s'incarnent plus facilement entre les mains de cinéastes aspirant à une certaine recherche de pureté, de dépouillement ; dans le cas d'un metteur en scène plus racoleur comme Winner, elles apparaissent comme hypocrites dans leur aspect moralisateur.



On serait bien malhonnête de ne pas reconnaitre que la distribution de La Sentinelle des maudits est on ne peut plus surprenante : si le couple Raines/Sarandon accomplit honnêtement son travail, les seconds rôles sont tenus par rien de moins qu'Eli Wallach, Jeff Goldblum, Christopher Walker, Ava Gardner, Arthur Kennedy, John Carradine et Burgess Meredith, soit un des plus étranges mélanges d'anciennes gloires hollywoodiennes sur le déclin et de futures stars. Si il est clair que le film de Winner ne se hisse pas à la hauteur de ses modèles, il demeure toutefois l'un des essais les plus intéressants d'un cinéaste très inégal ; l'unique intérêt d'Un justicier dans la ville résidait dans la manière dont Winner transformait un polar en film d'horreur. Plongé dans un univers satanique, il a pu ici donner libre cours à sa fascination pour le macabre sans parasiter son histoire, bien aidé par la qualité des maquillages de Dick Smith (responsable de ceux de l'Exorciste). On pourrait presque dire que La Sentinelle des maudits est à Rosemary's baby ce que l'Enfant du diable de Peter Medak est à L'Exorciste : un rejeton moins abouti mais pour autant tout à fait digne d'intérêt.