dimanche 8 mars 2015

Johnny le bâtard (Armando Crispino, 1967)

 
Un séducteur, John Donald (John Richardson) ne cesse d'aller de conquête en conquête. Après avoir revu sa mère, il découvre que son père qu'il croyait mort est en réalité le richissime Don Tenorio dont le fils Francisco (Claudio Camaso) est craint pour son despotisme. John Donald tente de séduire sa femme Dona Antonia ( Martine Beswick) afin de régler ses comptes avec son frère.

Après l'Odyssée mais avant Hamlet et l'Orestie, c'est cette fois ci Don Juan qui est transposé dans l'univers du western transalpin. A priori, le mythe se prête moins aisément à une déclinaison baroque et effectivement, Crispino se heurte à un certain manque de ligne directrice. Après une introduction de laquelle Johnny/Juan est absent (le film est un flashback raconté par son serviteur agonisant, choix original mais qui n'apporte pas grand chose) on assiste à une longue confrontation entre notre héros et la famille d'une femme qu'il a séduite, famille qui force Johnny à épouser sa conquête. Johnny s'échappe, survit à une fusillade face à ses beaux-parents et jusque là, on semble avoir affaire à un mélange certes atypique mais cohérent. Sauf qu'à partir de sa rencontre avec les mormons, le personnage de Johnny devient de plus en plus incompréhensible : libertin mais honorable, frimeur mais courageux, il est finalement antipathique notamment de par son apathie et sa complaisance devant les horreurs commises par son frère, excepté le fait de l'avoir spolié de sa place légitime. On dirait que Crispino a hésité entre forcer l'adhésion et mettre le spectateur à distance, d’où un entre-deux guère convaincant à l'image des relations fluctuantes qu'entretient Johnny avec son serviteur simplet, mais il demeure très difficile d'éprouver un minimum d'empathie pour le héros et donc de s'intéresser à sa quête identitaire narcissique.


Au moins, Johnny le bâtard peut se targuer de présenter des situations originales, ainsi que des protagonistes inhabituels : les mormons (personnages les plus positifs du film) accompagnés de leur archange Gordon Mitchell, le valet, la mère " indigne " de Johnny ou l'ambivalente Dona Antonia sont traités avec plus de relief que la grande majorité des personnages unidimensionnels peuplant le cinéma d'exploitation. La qualité de l'interprétation est également supérieure à la moyenne : si John Richardson est correct quoique pas tout à fait à la hauteur de ce que nécessitait un anti-héros aussi complexe psychologiquement, Martine Beswick, Gordon Mitchell et Claudio Camaso font de très bons seconds rôles. Le score de Nico Fidenco est en revanche plutôt quelconque et si on n'a rien contre les excès baroques au sein d'un univers italien, le baroque selon Crispino est très loin de valoir celui des Leone, Fulci, Questi ou Corbucci.


Si Crispino emballe son film assez proprement (les zooms brutaux et la plupart des clichés visuels spaghettis se font rares), il accumule beaucoup trop de thématiques traitées artificiellement pour un film d'une heure et demie. Les liens du sang - Johnny et son ennemi mortel ont le même père, le meneur de l'attaque des paysans travaille pour les exploiteurs mais n'a pas supporté de devoir exécuter son frère -, l'opposition entre l'hédonisme et la religion - comme dans la pièce, Johnny est finalement châtié par Dieu -, le désir de reconnaissance et la lutte des classes ou encore le complexe d’œdipe sont évoqués sans être articulés entre eux avec fluidité. Les motivations deviennent ainsi parfois floues (pourquoi les mormons décident-ils de faire tuer Johnny ? ) voir incompréhensibles (pourquoi les tantes sont-elles effrayées par la mère, qui semble bien peu dangereuse ? Pourquoi Don Tenorio n'arrive t-il pas à s'opposer à son fils ?). Trop de bifurcations narratives, trop de ruptures de ton et trop de transition brutales finissent ainsi par avoir raison d'un film qui ne ressemble à aucun autre western spaghetti mais qui fait penser à un empilement de saynètes, de bonnes idées de cinéma qui parfois se parasitent les unes les autres plus qu'elles ne s'additionnent. Crispino poursuivra sa carrière dans divers genre avec une volonté constante de casser les clichés et les conventions.

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