vendredi 6 mars 2015

La chatte des montagnes (Ernst Lubitsch, 1921)




Lilli (Edith Meller), la fille du commandant d'une forteresse isolée en montagne, attend l'arrivée d'un soldat doublé d'un grand séducteur, le lieutenant Alexis (Paul Heidemann). Celui-ci est attaqué par des bandits lors de son trajet et tombe amoureux de Rischka (Pola Negri) qui dirige la petite bande. Il tente dès lors de repousser son mariage avec Lilli.

Si le mot burlesque évoque forcément les meilleurs comiques américains du muet, de Chaplin à Langdon en passant par Keaton ou Lloyd, Lubitsch signe ici une réjouissante satire n'ayant rien à envier à ses homologues. Comme chez ses confrères, les décors sont plus irréalistes les uns que les autres (la forteresse ressemble à une maison de poupée géante que chaque scène de poursuite transforme en immense terrain de jeu) tandis que les personnages semblent tout à fait adaptés à cet environnement : le lieutenant laisse parler sa tristesse sur un immense cheval à bascule surplombé d'un cœur, tandis qu'après s'être disputé avec sa femme, le commandant de la garnison se couche en hauteur sur l'une des colonnes sur laquelle il semble pourtant impossible de grimper. Il y a une inventivité constante dans la gestion des décors qui culmine lors de la séquence de rêve où un groupe de bonhommes de neige trompettistes accueillent Pola Negri dans une véritable grotte de conte de fées ; il faut également noter la manière dont Lubitsch utilise des caches pour donner des formes géométriques diverses à ses cadres, parfois arrondis ou nuageux et qui viennent à certains moments apporter une ironie bienvenue à la situation (un personnage hypocrite pleure dans un plan en forme de larme, des amoureux en fuite cadrés comme si ils étaient observés par quelqu'un muni de jumelles). Formellement, le film apparait déjà très maitrisé et l'univers visuel unique de Lubitsch continue d'étonner près d'un siècle après sa sortie.


Il y a donc un cinéaste de génie derrière La chatte des montagnes, mais également une comédie déchainée. Pola Negri est irrésistible et chacune de ses apparitions, de ses poses masculines, de ses gags absurdes (ses hommes qui l'utilisent comme bélier pour défoncer une porte, la manière dont elle compte les jambes des brigands endormis pour s'assurer que tout le monde est là) est un véritable régal. Si l'actrice réalise une performance magnifique, son partenaire de jeu Paul Heidemann se révèle en revanche tout à fait quelconque d'autant plus que son physique moyen le rend peu crédible en playboy irrésistible. Peut-être Lubitsch a t-il voulu montrer par ce biais sa préférence pour les brigands plutôt que pour l'ordre établi (le film baigne d'ailleurs dans un ton libertaire et anarchisant, les moments d'attaques militaires étant un sommet de n'importe quoi) mais son absence de charisme diminue la force de leurs scènes de couple. Il aura toutefois droit à l'un des gags les plus génialement absurdes : son départ salué par une bonne centaine de ses anciennes maitresses, accompagnées d'autant d'enfants l'appelant " papa ".


Autre aspect surprenant : le film est divisé en quatre actes, et si le troisième en constitue le sommet comique en multipliant les moments de bravoure, le dernier bifurque vers un ton plus amer lorsque les personnages réalisent leur incapacité à pouvoir vivre ensemble. Les idées surréalistes se font moins drôles et plus poignantes (le mari de Pola Negri dont les larmes creusent un cours d'eau au milieu de la montagne) tandis que la fin est placée sous le signe de la résignation. Sans avoir la force comique des meilleurs films américains du cinéaste, La chatte des montagnes se révèle parfois assez osé (le commandant qui pense que Pola Negri fait l'amour dans le placard) et témoigne du talent avec lequel, en pleine période expressionniste, un metteur en scène parvient à en reprendre l'esthétique difforme pour la tirer vers une sorte de fantasmagorie satirique. Un excellent muet.

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